Evidemment, on n’attendait pas du metteur en scène allemand David Bösch – signataire de plusieurs productions aussi marquantes qu’enthousiasmantes ces dernières saisons (Simon Boccanegra à Lyon, Elektra à l’Opéra de Flandre ou encore Alcina in loco) – une vision traditionnelle de Cosi fan tutte, entre boudoir, bonbonnière et robes à paniers. Après la transposition du chef d’œuvre de Haendel dans un cabinet fourmillant d'animaux empaillés, Bösch situe cette fois l’action dans un magnifique bistrot Art Déco, dans les années soixante, Don Alfonso en étant le gérant, tandis que Despina est sa serveuse. Placé sur une tournette, l’imposant décor (conçu par Falko Herold) laisse apercevoir – sur son côté face, à deux ou trois occasions – la chambre (très bordélique) des deux sœurs. Résolument giocoso, car on rit beaucoup pendant la représentation, le spectacle repose avant tout sur une direction d’acteurs qui ne laisse aucun répit aux protagonistes. Débordants d’énergie, les artistes s’en donnent à cœur joie : on joue au baby-foot, on se trémousse sur les décibels d’un juke-box, on exhibe son poitrail bariolé de tatouages ou on renfile en douce sa petite culotte abandonnée sur le plancher… Bref, c’est festif, plein de vie, bouillonnant d’énergie vitale !
Dans le rôle de Fiordiligi, la soprano Ossète Veronika Dzhieova est un bel alliage de pureté et de véhémence, avec un registre grave particulièrement nourri. La voix, d’une pénétrante couleur, se déploie avec assurance sur toute la tessiture, et si les vocalises paraissent encore perfectibles, la jeune chanteuse s’affirme comme une artiste à suivre. La blonde et longiligne mezzo ukrainienne Alexandra Kadurina dispose d’une voix riche et chaude, et épouse sans difficultés les ardeurs de la vibrionnante Dorabella : chacune de ses interventions est un vrai régal. Excellent Guglielmo aussi du baryton italien Vittorio Prato, bien sonnant, précis, et remarquable comédien (que de pitreries et de mimiques aussi drôles que naturelles il fait montre !). La palme reviendra peut-être cependant au Ferrando de Steve Davislim, superbe Pylade (Iphigénie en Tauride) sur cette même scène il y a deux ans, et dont le « Un’aurora amorosa » s’avère une leçon de style, avant la violence impressionnante qu’il apporte, un peu plus tard, au « Tradito, schernito » du deuxième acte. Autant de personnalités qui, bien qu’assez marquées, se fondent à ravir dans les ensembles, qui sont les véritables sommets de la représentation. De son côté, Laurent Naouri campe un Don Alfonso cynique et désabusé à souhait, totalement maître des fils de l’intrigue qu’il a nouée. On mentionnera, enfin, la Despina de la mezzo italienne Monica Bacelli, au timbre inhabituellement corsé pour ce personnage, et d’une grande autorité vocale et scénique.
Salué le mois dernier à l’Opéra de Lyon dans un univers radicalement différent (celui de Wagner (Tristan und Isolde) et de Strauss (Elektra)), le grand chef allemand Hartmut Haenchen montre également d’excellentes dispositions mozartiennes (tout juste entachées par quelques décalages dans l'acte I). Grâce à sa direction souple, combinant avec art de subtiles gradations entre tempi vifs et tempi lents, et grâce à une attention particulière au permanent dialogue entre voix et instruments, il soutient, du début à la fin, l’intérêt, et place ainsi les chanteurs dans un environnement favorable. Il a sa part dans la réussite de la soirée, couronnée par de nombreux rappels.
Cosi fan tutte de W. A. Mozart à l’Opéra des Nations de Genève, jusqu’au 15 mai 2017
Crédit photographique © Carole Parodi
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