Alors que c’est ici-même, à l’Opéra de Lausanne en 2003, qu’avait été créée la fameuse version des Contes d‘Hoffmann par Jean-Christophe Keck (reprise - et même augmentée - le mois dernier au Grand-Théâtre de Bordeaux…), Eric Vigié a choisi de revenir à la cinquième édition révisée de Choudens, avec les adjonctions de la version Oeser, ainsi que d’autres numéros dont une apothéose finale. Il en a confié la mise en scène à l’homme de théâtre-chouchou de la maison vaudoise, Stefano Poda, dont on a déjà pu voir, in loco, ses visions de Faust en 2016 et de Lucia di Lammermoor en 2017, et, comme à son habitude, le démiurge italien signe également les décors, les costumes ainsi que les éclairages. Il a imaginé, comme scénographie, un immense cabinet de curiosités qui représente, selon lui, « l’effort d’Hoffmann pour rassembler toutes les pièces de sa vie, pour en comprendre, à travers l’art, le sens, le secret, le mystère ». Au milieu de l’impressionnant dispositif s’intercale, en fonction des actes, une roue qui prend divers aspects. D’abord la chambre d’Hoffmann, qui se met bientôt à tourner, obligeant le chanteur à caracoler comme un hamster dans une cage ! Elle prend la forme d’un 78 tours géant pendant l’acte d’Antonia, et devient roulette pendant celui de Giuletta. Sur le plateau, les trois héroïnes sont démultipliées et enfermées dans des vitrines (photo) : Stefano Poda accentue ici le caractère sombre, pessimiste, et cependant passionné des Contes d’Hoffmann, sans trahir pour autant, bien au contraire, l’esprit de Jacques Offenbach. Il met spécifiquement en relief les faces cachées de l’œuvre, celles qui transparaissent sous la beauté apparente de la musique, sous l’inspiration constante d’un compositeur alors vieillissant, presque désabusé, mais toujours puissamment créateur.
Comme l’on pouvait s’y attendre, le ténor monégasque Jean-François Borras s’affirme comme l’interprète quasi idéal d’un rôle dont il assume toutes les facettes avec brio. Dès le Prologue et une chanson de Kleinzach étourdissante, le public est conquis et lui réservera, de fait, un accueil on ne peut plus enthousiaste au moment des saluts. De son côté, Nicolas Courjal - dans la partie des quatre Diables - fait montre une nouvelle fois de sa voix splendide, particulièrement sombre et bien posée, et régale le public avec son style raffiné, son chant racé, et sa présence scénique magistrale. Du côté des femmes, la jeune soprano-colorature autrichienne Beate Ritter campe une exceptionnelle Olympia, se délectant de son personnage avec une aisance stupéfiante et des aigus hyperboliques comme nous n’en avions plus entendus depuis Natalie Dessay ! Vannina Santoni prête à Antonia toute l’expressivité de son chant et une réelle sensibilité : la tessiture toutefois, la soumet à des tensions extrêmes qui se traduisent par des aigus souvent tirés et stridents. Plus en retrait scéniquement parlant, Géraldine Chauvet offre en revanche un beau mezzo moiré, tandis que la suissesse Carine Séchaye (apellée en dernière minute) fait valoir une indéniable présence scénique en Nicklausse et la Muse, en plus d’une ligne vocale très attentive. Frédéric Longbois, dans les quatre emplois dits de « valets » (mais ils sont aussi bouffons, confidents, souffre-douleurs…), parvient à renouveler, avec maestria et élégance, le genre comique, ici teinté de zones inquiétantes. Les comprimarii n’appellent aucun reproche, avec une mention pour la voix sépulcrale de Qiulin Zhang, dans le rôle de la Mère d’Antonia.
Cerise sur le gâteau, l’esprit d’Offenbach plane bel et bien sur cette ultime représentation, placée sous l’égide de l’excellent chef français Jean-Yves Ossonce (déjà en fosse sur le Faust précité), qui traduit en vrai spécialiste - et grâce à un Orchestre de Chambre de Lausanne étincelant - toute la poésie et le lyrisme d’une musique parmi les plus belles du répertoire français !
Les Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach à l’Opéra de Lausanne (octobre 2019)
Crédit photographique © Alan Humerose
14 octobre 2019 | Imprimer
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