Der Fliegende Holländer à l'Opéra de Francfort

Xl_vaisseau © Barbara Aumüller

Après les réussites qu'ont constitué, ces deux dernières saisons, les mises en scène de Simon Boccanegra et des Stigmatisés à l'Opéra de Lyon, ainsi qu'Elektra à l'Opéra de Flandre, nous attendions avec fébrilité la nouvelle production du très talentueux régisseur allemand David Bösch : Der Fliegende Holländer à l'Opéra de Francfort. La première image marquante montre le Hollandais surgissant des ténèbres, dans une atmosphère fantomatique de fin du monde, entouré d'anges de la mort, vestes en cuir et mines patibulaires, chevauchant des Harley Davidson noires, tandis que descend des cintres une immense hélice rouillée qui colle un peu plus au livret... Menaçants et clope au bec, ils imitent ensuite leur maître qui sort un revolver, faisant semblant de tirer de tous côtés, puis se saisissent de crânes qu'ils enfoncent sur des pieux. Les marins de Daland ne valent guère mieux, qui passent leur temps à boire, à se battre entre eux ou à violenter leurs femmes. La scène des fileuses est, elle, transposée dans un misérable atelier de couture, comme on peut en imaginer au Bengladesh, dont les murs délabrés suintent. Sales, vêtues d'habits usés et disparates, elles sont comme une dénonciation du travail précaire et sous-payé dans certains pays du tiers-monde. Senta arrive sur scène hagarde et agitée, le portrait du Hollandais dans les mains, et se menace bientôt avec une paire de ciseaux... que les couturières lui arrachent à grand peine.  Avant même de rencontrer le Hollandais, Senta est fascinée par la mort, connaît déjà son destin, et elle réitérera son geste desespéré de différentes manières,  jusqu'à la scène finale dans laquelle elle s'immole par le feu (la grande hélice s'embrase de saisissante façon au dessus d'elle dans une véritable apocalypse).

Cet état de constante démence et de désir de mort de Senta voulus par le metteur en scène, la magnifique soprano suédo-américaine Erika Sunnegardh parvient à les communiquer, d'une part par son jeu, mais tout autant par sa stupéfiante prestation vocale, d'une affolante intensité, depuis une ballade hantée - couronnée par des aigus tranchants et sonores -, jusqu'à son délire sacrificiel. Le baryton allemand Wolgang Koch – détenteur de presque tous les grands rôles wagnériens associés à sa tessiture - exprime avec une puissante éloquence l'insondable profondeur du désespoir du Hollandais, fatalité qui l'a transformé ici en un personnage inhabituellement diabolique et violent. Bien trop jeune pour être crédible dans la partie de Daland (non grimé, il paraît plus jeune que sa fille...), Andreas Bauer reste plutôt falot, dépourvu de la bonhomie et de la rouerie auxquelles on associe d'habitude ce protagoniste, mais il offre une vocalité irréprochable.

Avec des moyens vocaux étonnants, le ténor allemand Daniel Behle convainc pleinement dans le rôle d'Erik : le timbre est séduisant, la musicalité jamais prise en défaut, les aigus magnifiquement amenés, et le style laisse entendre une italianité qui ne messied pas ici. De son côté, Tanja Ariane Baumgartner est une Mary aux graves impressionnants et le jeune ténor américain Michael Porter un Timonier aussi bondissant que bien chantant. Quant aux Chœurs de l'Opéra de Francfort – comme à l'accoutumée dans cette maison –, ils sont superbes d'engagement, dosant suffisamment bien leurs effets pour créer un impressionnant crescendo dans leur grandiose scène du troisième acte.

Acclamé tant par le public que par ses instrumentistes, le chef français Bertrand de Billly – premier chef invité de l'Orchestre de l'Opéra de Francfort - parvient à rendre le romantisme exalté de la partition du Maître de Bayreuth, exploitant à fond toutes les ressources de la palette dynamique. Il sait aussi lui conférer une dimension d'anxiété qui semble vouloir épouser le trouble intérieur, proche de la panique, auquel Senta est en proie.

Emmanuel Andrieu

Der Fliegende Holländer à l'Opéra de Francfort, le 17 décembre 2015

Crédit photographique © Barbara Aumüller

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