Der Kaiser von Atlantis à l'Opéra de Reims

Xl_der_kaiser_overall © Nathaniel Baruch

Depuis son apparition à Amsterdam en 1975, L'Empereur d'Atlantis de Viktor Ullmann n’a cessé de poser le cas de conscience de cette « musique des camps » sur laquelle la mort plane constamment comme un épée de Damoclès : Theresienstadt en l’occurrence, antichambre d’Auschwitz, où les artistes juifs trouvaient l’opportunité macabre d’une activité créatrice qu’ils n’avaient pas connue antérieurement.

Il est impossible d’oublier la force prégnante de ce contexte en écoutant cette modeste et délicate partition, que l’auteur n’a pu même voir représenter avant sa mort, gazé par les nazis qu’il fut en 1944. Pour autant, le tragique des circonstances ne doit pas non plus commander seul notre jugement : composite, et de portée malgré tout limitée, l’œuvre d’Ullmann n’est pas non plus le chef d’œuvre inconnu de la période, et on ne saurait la comparer, par exemple, avec le Quatuor pour la fin des temps écrit par Messiaen dans des conditions analogues. Si l’on tente une écoute objective, il en ressort d’abord les deux beaux airs confiés à la Mort et le très émouvant final, citant Bach, qui suffiraient à indiquer la véritable ascendance d’Ullmann : le Schoenberg du Pierrot lunaire (pour la subtilité et le raffinement de l’orchestration, et la présence, précisément, d'un Pierrot plutôt grinçant et amer), et Berg surtout - dès l’annonce initiale faite par un Mr Loyal/Haut-parleur directement issu du prologue de Lulu. L’ensemble reste curieusement dominé par l’esprit des années vingt, mais la référence à Weil par exemple, dans quelques apparences de songs, reste au contraire toute superficielle. Malgré les aspects satiriques et quelques faux moments d’éclaircie, l’ensemble, très dépouillé, laisse en effet une impression de douleur, de profonde tristesse, de désenchantement, en partie résolue par la prière finale, qui marque un ultime renoncement. Quant au texte de Petr Kien, il tourne résolument le dos à toute efficacité dramatique, pour se réfugier dans une allégorie excessivement compliquée, et qui ne trouve sa vraie justification que dans le lyrisme des airs plus développés.

Avec ses personnages abstraits, esquissés à grand traits, la très courte durée de l’action de son acte unique (une petite heure) et la quasi-inexistence de l’action, l’œuvre paraît ainsi très problématique à la scène. C’était sans compter sur le travail intelligent, minutieusement élaboré, au souffle poétique constant – et dont la qualité première est celle d'une sobriété exemplaire - de Louise Moaty, fidèle collaboratrice du célèbre metteur français Benjamin Lazar. Elle cultive ici le mystère – formidablement aidée par sa décoratrice Adeline Caron, qui a imaginé de grands parachutes blancs descendants des cintres, baignés dans d'irréelles lumières (conçues par Christophe Naillet), qui renforcent l'onirisme prégnant de la régie.

Pour assurer plus qu’un succès d’estime à une entreprise aussi problématique, cette production confirme l’idée que la brièveté et la modestie apparente de l’ouvrage exige, en fait, une équipe vocale de toute première force. C'est ce qu'a su réunir l'ARCAL (dirigé par Catherine Kollen) pour la Maison de la Musique de Nanterre - où la production a initialement été montée, avant de s'installer, une semaine plus tard, sur le plateau de l'Opéra de Reims.

Les chanteurs-acteurs réunis dans la ville des Rois de France doivent affronter - avec un soutien orchestral minimal - des tessitures particulièrement tendues : tous s'acquittent de leur partie avec de rares talents de comédiens et des qualités vocales idoines. Dans le rôle-clé de l’Empereur, à qui revient la plus belle part dans son discours final, l'excellent baryton français Pierre-Yves Pruvot nous gratifie de son timbre clair et sonore à la fois, qui fait fi des notes aigües dont sa partie est truffée ; il faut également saluer un engagement scénique qui force l'admiration. Très investi également, l'ukrainien Wassyl Slipak qui - dans le double rôle de La Mort et du Haut-Parleur - offre une superbe voix de basse, donnant toute leur portée aux deux belles tirades que lui offre la partition. Tout aussi exposé, le Tambour de la magnifique mezzo britannique Anna Wall éblouit autant par ses aigus souverains que par son registre grave nourri. Enfin, le jeune Sébastien Obrecht s'avère brillant et mordant à souhait, aussi bien en Arlequin qu'en Soldat amoureux de Bubikopf, une Natalie Perez qui ravit grâce à un timbre lumineux et bien projeté.

Quant au chef Philippe Nahon, il rame énergiquement pour mener à bon port son ensemble instrumental Ars Nova auquel, nous a t-il semblé, manquaient quelques cordes.

Signalons au lecteur - en guise de conclusion – que le spectacle sera repris au Théâtre de l'Athénée à Paris du 24 au 30 janvier. On ne saurait trop lui conseiller d'aller y découvrir cette œuvre aussi rare que passionnante.

Emmanuel Andrieu

Der Kaiser von Atlantis à l'Opéra de Reims

Photo © Nathaniel Baruch

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