On se rappelle d’une production des Vêpres Siciliennes de Giuseppe Verdi dans leur mouture originale française, ici-même au Teatro Costanzi de Rome : c’était à la fin des années 90, dans une production signée par Federico Tiezzi. Car si aujourd’hui on donne légitimement l’ouvrage en français, comme prochainement au Welsh national Opera (nous y serons) ou à l’Opéra de Zurich en juin (dans une mise en scène de Calixto Bieito), c’était encore jusqu’à il y peu, toujours la version italienne (soit I vespri sicilianni…) que l’on pouvait voir à l’affiche ici ou là, et ce depuis la création de l’ouvrage Salle Le Peletier à Paris en juin 1855. Le Maître de Busseto ne pouvait résister à l’offre qu’on lui fit de composer une œuvre destinée à être créée à l’Opéra de Paris, alors capitale européenne de la musique : c’était là une conquête essentielle dans la carrière d’un compositeur lyrique. Les Vêpres Siciliennes, d’après un livret un rien alambiqué d’Eugène Scribe et Charles Duveyrier, s’inscrit dans la lignée du Grand Opéra français : cinq actes, alternance de grandes fresques collectives et de tableaux intimistes et bien sûr, l’inévitable ballet. L’intrigue s’inspire de la révolte du peuple sicilien au XIIIe siècle contre l’occupant français, soulèvement qui s’achèvera par un carnage. A la grande histoire collective viennent se greffer les conflits moraux des deux principaux protagonistes (Hélène et Henri) en proie à la thématique cornélienne du devoir et de l’amour, ainsi que le fanatisme politique (Procida) et l’arbitraire du pouvoir (Montfort). La première fut triomphale, Berlioz évoqua la « majesté souveraine de la musique » et le livret fut aussitôt traduit en italien, de sorte que l’œuvre fut représentée six mois après sa création parisienne au Teatro Regio de Parme.
Les Vêpres siciliennes, Teatro dell'Opera di Roma (2019) ;
© Yasuko Kageyama
Les Vêpres siciliennes, Teatro dell'Opera di Roma (2019) ;
© Yasuko Kageyama
La metteure en scène argentine Valentina Carrasco – formée à l’Ecole du collectif catalan de La Fura dels Baus – transpose l’action du Moyen-Age à notre époque actuelle, dans une scénographie triste et moche (signée Richard Peduzzi) constituée de hauts murs en béton, qui renvoie l’image d’un état totalitaire et concentrationnaire. Plutôt indigente, la direction d’acteurs se réveille pendant le fameux ballet du troisième acte, dit des « quatre saisons », et ici confié au chorégraphe italien Massimiliano Volpini. La chorégraphie met en scène des femmes d'abord battues et violées, mais qui retrouvent ensuite leur dignité grâce à des ablutions purificatrices (une image empruntée à Pina Bausch et à son célèbre Vollmond, cela dit...). Le reste de l’action, au cours des quatre heures trente que dure la soirée, ne suscite guère l’intérêt et la spectaculaire scène finale tombe ici à plat car il n’y a guère que le tintement des cloches pour nous rappeler le massacre des Normands par les Siciliens…
Tenore di grazia à ses débuts, l’américain John Osborn (Henri) peut légitimement s’orienter désormais vers des emplois plus héroïques (comme récemment celui d’Arnold à l’Opéra de Lyon…) et il aborde le personnage de Henri avec une intuition stylistique infaillible, mais aussi une diction de notre langue digne des plus vifs éloges. La voix ayant gagné en ampleur, il parvient à sortir son épingle du jeu des grands ensembles d’ascendance meyerbeerienne et offre indubitablement le chant le plus expressif et accompli de la soirée. La jeune soprano italienne Roberta Mantegna (Hélène) – révélée par I Masnadieri à Monte-Carlo, puis réentendue peu après dans Il Pirata à La Scala – confirme les grandes qualités qu’on lui avait trouvées, même si les débuts paraissent hésitants, avec notamment quelques aigus un peu acides. Par la suite, une fois la voix chauffée, elle fait une nouvelle démonstration de son formidable aplomb technique : le volume est adéquat, le dosage de la voix de poitrine et la qualité du trille également et elle déploie des sonorités ravissantes dans les moments de douceur. Vieux briscard de la scène lyrique, la basse italienne Michele Pertusi (Procida) s’impose davantage par son incroyable présence, sa maîtrise des effets dynamiques et son phrasé émouvant, que par la qualité de son français. Quant à son compatriote Roberto Frontali, les qualités du timbre et l’ampleur de la voix – à défaut toujours de son sens des nuances – en font un Montfort crédible. Et hors leur diction plus ou moins idiomatique, les comparses sont tous d’excellente tenue avec une mention pour le Sire de Béthune de Dario Russo.
Tout nouveau directeur musical de la maison romaine, Daniele Gatti excelle à faire coexister, au moyen d’une battue impétueuse, les climats antagonistes d’une partition inégale. Sous la direction de l’ancien patron de l’ONF, les longs récitatifs prennent vie en une progression haletante, les airs paraissent sertis dans un écrin flamboyant et les grands ensembles sont construits avec un sens de l’équilibre qui leur enlève l’excès de clinquant qui leur est généralement associé.
Bravo à l‘Opéra de Rome pour cette formidable initiative et vivement les prochaines exécutions du chef d’œuvre français (avec Don Carlos bien entendu) de Giuseppe Verdi !
Les Vêpres siciliennes de Giuseppe Verdi au Teatro dell’Opera de Rome (décembre 2019)
Crédit photographique © Yasuko Kageyama
25 décembre 2019 | Imprimer
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