Après avoir soulevé d'enthousiasme le public lyonnais deux jours plus tôt, Ermione de Gioacchino Rossini (donnée ici en version de concert) a enflammé celui du Théâtre des Champs-Elysées, grâce à un plateau vocal dont les qualités stylistiques ont pu rappeler l’âge d’or du chant rossinien des années 80, d’autant que c’est l’immense Alberto Zedda – fondateur du mythique festival de Pesaro, et âgé de 88 ans aujourd’hui – qui dirigeait.
La première difficulté de la partition est de trouver une chanteuse capable de soutenir vocalement le rôle-titre d’Ermione, sans doute le plus exigeant parmi tous ceux que Rossini a composé pour Isabella Colbran. Tout ici n’est que fureur, haine, dépit, menaces, et, parfois, prières et supplications. Sur cette écriture hérissée de vocalises à pleine voix, d’écarts, de sauts de registre, tendue d’un bout à l’autre, beaucoup se sont cassées les dents, même parmi les plus grandes. C’était sans compter sur Angela Meade – pilier du Metropolitan Opera de New-York et une des meilleures Norma de notre époque – qui a su pénétrer les arcanes de cette vocalité et se construire un instrument à la hauteur de l’enjeu. La soprano américaine dresse ainsi un portrait haut en relief de l’héroïne, et dompte les multiples difficultés jusqu’à une scène finale d’anthologie. Face à elle, la jeune mezzo franco-suisse Eve-Maud Hubeaux – intense Pauline (La Dame de pique) à l’Opéra national du Rhin la saison dernière – compose une Andromaca féminine et émouvante. Son air « Mia delizia » est de toute beauté, et la voix est par ailleurs suffisamment charpentée pour aborder le redoutable duo dramatique avec Pirro au II.
Côté masculin, les trois rôles principaux (tous confiés à des ténors) sont ardus. Malgré une certaine fatigue vocale et quelques défaillances dans l’intonation, le ténor américain Michael Spyres n’en demeure pas moins un fantastique Pirro, par la fabuleuse étendue de son registre et la robustesse de son phrasé. Le russe Dmitry Korchak, avec une projection encore plus autoritaire que Spyres (incroyable « Che sorda al mesto pianto » !), confère à son Oreste une fière allure, et sa nouvelle stature vocale le pose en héritier de la grande tradition. Dans le rôle presque épisodique de Pilade, le ténor sicilien Enea Scala – entendu dernièrement dans La Juive à l’Opéra de Lyon – fait valoir la qualité de son timbre et une grande sûreté dans l’émission. Mentionnons également la basse tout aussi sonnante et techniquement aguerrie au chant romantique de Patrick Bolleire (Fenicio), ainsi que les belles prestations de Rocio Perez (Cleone), André Gass (Attalo) et Josefine Göhmann (Cefisa), trois artistes issus du Studio de l’Opéra de Lyon.
A la tête d’un Orchestre de l’Opéra national de Lyon à son meilleur, le maestrissimo Alberto Zedda fait ressortir avec éclat tous les sortilèges de cette partition, tout en se mettant constamment au service des chanteurs. Avec une direction d’une telle compétence, la musique de Rossini retrouve sa dimension à la fois spirituelle et ambiguë, écrite dans un ton d’« insoutenable légèreté » qui cache en réalité une profonde réflexion.
Un public en délire offre une interminable ovation à l’ensemble des acteurs de cette formidable soirée de belcanto.
Ermione de Gioacchino Rossini au Théâtre des Champs-Elysées, le 15 novembre 2016
17 novembre 2016 | Imprimer
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