Certes, l'e-mail d’invitation de l’Opera Ballet Vlaanderen à cette nouvelle production d’Ernani, rare opéra de jeunesse de Giuseppe Verdi, nous avait annoncé la couleur : « La cheffe d'orchestre Julia Jones et la metteure en scène Barbora Horáková Joly (Partner in crimes !) ont ramené le récit à l'essentiel en se concentrant sur la psychologie des protagonistes, depuis le point de vue d'Ernani ». Puis encore : « L'équipe a invité l'auteur Peter Verhelst à écrire plusieurs monologues qui nous font mieux comprendre les motivations d'Ernani. Ces passages sont interprétés par Johan Leysen (qui) accompagne Ernani tout au long du récit ». Et la cheffe de conclure « Vouloir intervenir dans les chefs-d'œuvre ultérieurs de Verdi serait de la folie, mais dans le cas d'Ernani, il m'a justement semblé fascinant de tenter de donner un nouveau souffle à cet opéra » (sic !).
Et le résultat s’avère consternant ! Tous les récitatifs sont donc ici remplacés par un texte inepte et confus qui n’a que peu à voir avec l’action (là encore les propos d’intention ne sont pas suivis). La musique en perd bien évidemment tout élan, alors qu’elle est encore emplie de toute la fougue du Risorgimento, l’orchestre étant interrompu tous les quarts d’heure par un texte fumeux que l'équipe artistique de la production a préféré à la musique de Verdi et aux paroles de son librettiste. Par ailleurs, les chanteurs sont privés de leurs récitatifs qui leur auraient servi aussi à « chauffer » leur voix, et doivent ainsi délivrer les redoutables airs et cabalettes presque à froid – expliquant peut-être les problèmes rencontrés par le ténor et la soprano, les voix graves s’en tirant beaucoup mieux.
Dans le rôle-titre, le ténor italien Vincenzo Costanzo possède un timbre de toute beauté, et déploie toutes les ressources d’un instrument parfaitement adapté aux exigences d’Ernani. Mais son incarnation toute de feu et de passion se trouve entachée par des aigus qui traduisent l’effort et qui détimbrent ainsi systématiquement. La soprano canadienne Leah Gordon est bien le lirico spinto exigé pour Elvira. Malgré quelques stridences dans l’extrême aigu et une appropriation du texte parfois sommaire, elle s’impose avec force, tant par son aisance dans les coloratures que par sa science des pianissimi et sa puissance dans les ensembles. Révélation de la soirée, même si son Germont nous avait déjà conquis l’été dernier au Teatro di San Carlo de Naples, le baryton Ernesto Petti possède toutes les qualités d’un grand « baryton Verdi », puissant sans lourdeur, élégant sans mièvrerie. C’est que le rôle, comme son homonyme dans La Forza del destino ou Luna dans Il Trovatore, n’est pas un barbon. Quoique roi et même empereur, il est jeune, ardent, mais avec une constante noblesse de ton, qui culmine dans le grandiose « O sommo Carlo ». De son côté, la basse allemande Andreas Bauer Kanabas, déjà présent sur cette même scène dans le rôle de Philippe II (Don Carlo) en 2019, apporte à Silva une puissance et une vigueur telles que l’on peine à croire à son personnage de vieillard détestable. Les seconds rôles sont bien distribués, et les chœurs maison s’imposent par leur éclat et la richesse de leurs timbres.
Bien que coupable de crime de lèse-Verdi, la cheffe britannique Julia Jones n’en conduit pas moins l’Orchestre Symphonique de l’Opera Ballet Vlaanderen avec beaucoup de précision, et rend malgré tout justice au formidable dynamisme qui emporte les nombreuses cabalettes. Pour autant, les passages lyriques ne sont pas négligés, et le Prélude – qui préfigure ceux de Macbeth et Rigoletto – bénéficie d’un bon travail de l’ensemble des cordes, chaleureuses et sensuelles.
Une soirée néanmoins très frustrante et agaçante dans l’ensemble !
Crédit photographique © Annemie Augustjins
20 décembre 2022 | Imprimer
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