A défaut d’avoir assisté à sa création à l’Opéra national de Lorraine en 1997, nous avions pu découvrir cette production d’Eugène Onéguine par Alain Garichot quelques années plus tard au Grand-Théâtre de Genève, avant de la retrouver (pour la chroniquer dans ces mêmes colonnes) d’abord à l’Opéra de Nice en février 2017, puis à l’Opéra de Saint-Etienne deux mois plus tard… et nous avons ainsi eu loisir d’en dire tout le bien que nous en pensions. Rajoutons ici que le plaisir qu’elle procure est resté intact, tant sa réalisation est une totale réussite !
Maurice Xiberras a relevé le défi d’une distribution (quasi) entièrement francophone, et des russophones présents dans la salle nous ont assuré que les différents protagonistes étaient pour la plupart parfaitement compréhensibles dans la langue de Pouchkine, ce qui est le premier bon point de la soirée. Dans le rôle-titre, Régis Mengus démontre une nouvelle fois qu’il est un acteur-né, et il parvient à exprimer toutes les facettes psychologiques de son personnage avec brio. Côté vocal, il offre à Onéguine un timbre dont la qualité première est la souplesse, les registres différents s’interpénétrant sans aucune rupture, mais l’extrême aigu a cependant tendance à se resserrer en fin de soirée. Le jeune ténor bordelais Thomas Bettinger, dont nous suivons de près le brillant début de carrière depuis son Mario (Tosca) à Saint-Etienne ou son interprétation de Faust dans cette même ville, apporte à Lenski une voix au grain brillant, sans chercher à souligner à l’excès le côté sombre du personnage. Chanté sur le fil du souffle, le fameux (et bouleversant) air « Kuda, Kuda » semble exhaler la tristesse résignée d’un être qui se sait incompris. Déjà entendue lors des représentations niçoises précitées, la Tatiana de Marie-Adeline Henry fait preuve des mêmes qualités, mais le suraigu s’apparente trop souvent au cri ce soir, ce qui nuit considérablement à une prestation par ailleurs plus qu’honorable. Dans ces conditions, l’Olga de la roumaine Emanuela Pascu n’a pas de mal à lui voler la vedette, avec son somptueux grain que l’on classera plus facilement dans la tessiture de contralto que de mezzo, ce qui ne l’empêche pas de délivrer des aigus superbement projetés. Basse chouchou de la maison massilienne, Nicolas Courjal s’avère un luxe dans le rôle du Prince Grémine : il enveloppe son magnifique air d’un authentique legato de violoncelle, ce qui lui vaut des hourras de la part du public phocéen. Enfin, si certains comprimari peuvent paraitre vocalement fatigués, ce n’est pas le cas du percutant Monsieur Triquet d’Eric Huchet, toujours aussi bien chantant.
Le Chœur de l’Opéra de Marseille se montre à nouveau irréprochable, quand l’Orchestre maison s’avère également dans une forme éblouissante. À sa tête, après avoir brillamment dirigé celui de Toulon en décembre dernier dans Les Pêcheurs de perles, le chef américain Robert Tuohy opte pour une narration fluide, équilibrée, ni trop sentimentale ni exagérément dramatique, de la partition du Maître de Saint-Pétersbourg. Bravo à lui aussi !
Eugène Onéguine de Piotr Illitch Tchaïkovsky à l’Opéra de Marseille, jusqu’au 18 février 2020
Crédit photographique © Christian Dresse
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