Coproduite avec le Grand-Théâtre de Luxembourg et l'Opéra-Comique - où elle a été donnée en 2013 -, cette production permet d’entendre, voire de découvrir, une œuvre rare : Il Segreto di Susanna (1909), un vaudeville (musical) comme l’Europe les appréciait au début du XXe siècle, avant la Grande Guerre, que rien ou presque ne laissait alors pressentir. Du livret d’Enrico Golisciani, le compositeur italien Ermanno Wolf-Ferrari tire une musique légère, au néo-classicisme élégant. Le metteur en scène français Ludovic Lagarde en fait un prologue, à l’amertume discrète, à La Voix humaine, monologue, tragique celui-ci, de Jean Cocteau, que Francis Poulenc mit en musique en 1958, en confiant la création, un an plus tard, à Denise Duval, son interprète favorite (récemment disparue). Des œuvres foncièrement différentes que l'homme de théâtre assemble intelligemment en y voyant le cheminement d’un couple, jeune et amoureux, puis âgé et en voie de séparation. Au centre de ce parcours, figurent deux objets : la cigarette, objet de plaisir, presque illicite car nous sommes en 1909, pour Susanna qui s’y adonne voluptueusement, ce que souligne une lumière intensément rose à chaque bouffée, puis le téléphone, auquel se raccroche désespérément la femme éconduite. Dans le décor unique d’un appartement immaculé, qui tourne sur lui-même, dévoilant ses recoins, se noue une chute, lente, sourde autant que douloureuse, où se multiplient les gestes machinaux, dérisoires tentatives d’échapper à une issue malheureuse.
Incarnant parfaitement les différentes étapes de ce banal chemin de croix, Anna Caterina Antonacci déploie avec talent toutes les facettes expressives de ses personnages, fascinante à chaque instant, qu’elle soit joyeuse ou au bord du naufrage. La ligne de chant est superbe, servie par une diction sans faille, notamment dans le texte de Cocteau, ouï à la perfection. A ses côtés, le baryton italien Vittorio Prato campe un Comte de parfaite tenue, qui évite le ridicule, sans cacher les travers et les emportements du personnage. Dans le rôle non chanté du domestique, Bruno Danjoux témoigne d’une belle vitalité, affichant souvent sa complicité – drôle et légèrement inconvenante - avec Susanna, qu’on n’ose qualifier de maîtresse.
Sous la direction du chef belge Patrick Davin, directeur musical de l'Orchestre Symphonique de Mulhouse, celui de l'Opéra Royal de Wallonie relève brillamment le défi de deux partitions aux styles singulièrement différents, soulignant les nuances et les couleurs, sans perdre de vue le plateau, qu’il soutient avec précision, pour donner au couple Il Segreto di Susanna / La Voix humaine une cohésion supplémentaire.
Il Segreto di Susanna d'Ermanno Wolf-Ferrari & La Voix humaine de Francis Poulenc à l'Opéra Royal de Wallonie, le 5 février 2016
Crédit photographique © Lorraine Wauters / Opéra Royal de Wallonie
07 février 2016 | Imprimer
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