Gaëlle Arquez EST Carmen au Menuhin Festival de Gstaad

Xl_carmenrfa_6334 © Raphaël Faux

Plus que le récital de Cecilia Bartoli consacré à Vivaldi, la veille, l’ouvrage lyrique retenu le lendemain est dans le droit fil (conducteur) du titre de l’édition 2019 du Menuhin Festival de Gstaad : Paris ! Car quelle œuvre mieux que Carmen - l’opéra le plus joué au monde - pouvait représenter l’opéra français ? Même en suisse alémanique, Carmen jouit indéniablement d’une popularité inoxydable, et c’est en masse que le public très international de la très chic station alpine s’est pressé, sous le tente du festival. Annoncé en version de concert, c’est finalement sous un format semi-scénique que se déroulera la soirée, sans que le programme ne nomme ni le costumier, ni le vidéaste, ni même le metteur en scène qui aura assuré une direction d’acteurs, certes discrète, mais néanmoins réelle ! Pendant l’Ouverture, quatre danseuses viennent sur scène esquisser quelques pas de flamenco, et les trois immenses éventails qui servent d'unique décor accueilleront, pendant toute la soirée, des images on ne peut plus conformistes, mais en rien désagréables pour la rétine des spectateurs.

Dans le rôle-titre, la belle et désirable Gaëlle Arquez livre sa plastique avec une intuition toute féminine, sa bohémienne affichant un vrai tempérament, une séduisante couleur sombre et une diction parfaite. Le soupçon d’effronterie dont elle pare son personnage, sa sensualité absolue quand elle fait courir la fameuse fleur tout autour de son cou et de sa gorge avant de la lancer à la face de Don José, et surtout l’entière adéquation à l'héroïne avec laquelle elle ne fait qu’une, en font une des Carmen les plus crédibles du moment (et à nos yeux la plus convaincante depuis Béatrice Uria-Monzon). Déjà présent à Gstaad pour l’avant-dernière édition du New Year Gstaad Festival, l’argentin Marcelo Alvarez souffle le chaud et le froid ce soir, alternant des moments électrisants à d’autres plus contestables… Si son jeu scénique est tout simplement bluffant - jamais (hors Kaufmann au ROH) on n'aura vu un Don José se consumant de désir avec une telle énergie avant de laisser éclater une fureur aussi dévastatrice -, son investissement tout aussi absolu dans le chant ne se fait pas sans quelques atteintes au bon goût, constamment cantonné entre mezzo forte et forte (même l’air de la fleur, hors l’aigu conclusif), et il finit surtout épuisé dans le duo final ce qui le fait trébucher sur les mots (la diction n’étant, de toute façon, pas son fort non plus…). Bref, une prestation en demi-teinte sans que le public ne lui en tienne rigueur cependant, à l’écoute des bravi qu’il récolte au moment des saluts. A l’instar de celle d’Arquez, la voix expansive, généreuse et vibrante de Julie Fuchs réveille également tous les sens : sa Micaëla sensuelle bouscule, c’est certain, l’image policée que l’on se fait de la jeune fille discrètement amoureuse. Tout autant à son affaire, l’Escamillo de la basse italienne Luca Pisaroni galvanise sans difficulté la salle entière. De leurs côtés, Kristina Stanek (Mercédès) et Uliana Alexyuk (Frasquita) recueillent, elles aussi, les faveurs de l’auditoire, grâce à leurs timbres identifiables et à leurs voix percutantes, un peu trop en ce qui concerne la dernière qui « écrase » tout le monde dans les ensembles (à commencer par Carmen, qui, comme nous-mêmes, semble avoir trouvé ça peu « chic » de la part de la chanteuse ukrainienne…). Si Alexander Kiechle (Zuniga) est ici hors-propos, avec son incompréhensible sabir et sa voix engorgée, une mention doit être adressée au Dancaïre de Manuel Walser, au Remendado d’Omer Kobiljak, mais surtout à l’excellent Moralès de Dean Murphy.

Principale ombre au tableau, la direction tonitruante de Marco Armiliato, placé à la tête des forces de l’Opéra de Zurich. Le chef italien martèle et brutalise la délicate musique de Georges Bizet, au mépris de l’élégance et du raffinement intrinsèques à sa magnifique partition, dont on a par ailleurs eu le mauvais goût de rétablir la discutable version d’Ernest Guiraud (avec récitatifs au lieu des dialogues parlés). Par bonheur, le Chœur Philharmonique de Brno d’avère irréprochable, tandis que la Maîtrise du Conservatoire populaire de musique de Genève apporte une fraîcheur qu’on aurait aimé retrouver également dans l’orchestre.

Emmanuel Andrieu

Carmen de Georges Bizet au Gstaad Menuhin Festival, le 24 août 2019

Crédit photographique © Raphaël Faux
 

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