C'est avec une nouvelle production de Guillaume Tell – dans sa version originale française – que le Festival d'été de Munich ouvre son cru 2014. D'emblée, regrettons que l'édition choisie, réduite à trois heures de musique, prive le spectateur de ses nombreux intermèdes chorégraphiques, car la spécificité de l'œuvre s'en trouve oblitérée. Espérons que les nombreuses maisons qui mettront prochainement le chef d'œuvre de Rossini à leur affiche – comme nous le précisions récemment - offriront sa « version longue ».
Nous déplorions, il y a peu, le Tyrol de carte postale – pour ne pas dire de pacotille - offert par le metteur en scène italien Cesare Lievi dans La Wally au Grand-Théâtre de Genève. Son collègue allemand Antu Romero Nunes propose à Munich, tout à l'inverse, une régie sans aucune référence explicite à la Suisse ni aucune contextualisation dans le temps (si ce n'est des costumes inspirés des années soixante...), pour mieux s'attacher à l'aspect universel et intemporel du livret. Le dispositif scénique – aussi impressionnant que diablement esthétique - est constitué par une cinquantaine de fûts de métal anthracite qui, tombant des cintres et pivotant sur eux-mêmes, évoquent tour à tour une maison, une forêt, une salle de réunion, mais le plus souvent s'enchevêtrent pour donner naissance à des formes géométriques menaçantes. Les savants éclairages de Michael Bauer viennent renforcer l'aspect dramatique et l'atmosphère étouffante des images ainsi créées. Avouons cependant que, sur la durée, le principe scénique finit par lasser un peu...
La distribution vocale, quant à elle, rend pleinement justice au chant rossinien. Les deux héros masculins dominent le plateau, à la fois par leurs qualités vocales, leur style parfait et une articulation française irréprochable : on comprend quasiment chaque mot de Michael Volle (abordant le rôle-titre) et Brian Hymel, qui maîtrise sans difficulté la tessiture meurtrière d'Arnold. La vaillance de ses contre-ut dans la cabalette « Amis, amis, secondez ma vengeance », comme la maîtrise du souffle dans les longues phrases piano du duo d'amour, en font indubitablement l'un des grands Arrnold du moment. Quant au baryton allemand, il est un Tell magnifique d'élégance vocale et d'intelligence musicale ; mais, plus encore, associant le texte à la musique, son phrasé exemplaire confère toute sa valeur dramatique au personnage, en particulier dans le bouleversant air « Sois immobile », qui intervient pendant la scène de la pomme.
Enthousiasmante Ana dans Maometto II de Rossini à l'Opéra de Rome en mai dernier, la soprano lettone Marina Rebeka brille ce soir dans celui de Mathilde, nonobstant une diction de notre langue qui gagnerait parfois à être plus châtiée. On n'en admire pas moins chez elle les qualités du chant que nous relevions lors de sa prestation romaine, à commencer par une beauté de la ligne mélodique et une élégance du phrasé souveraines, qui font particulièrement merveille dans le célèbre « Sombre forêt », mais également dans un très beau « Pour notre amour plus d'espérance ». La voix est par ailleurs d'une ampleur suffisante pour lui permettre de dominer les ensembles.
Les rôles secondaires, foisonnants et prééminents dans cet opéra, sont tous satisfaisants (hors le Furst éructant de Goran Juric). Jennifer Johnston campe ainsi une Hedwige intense bien qu'un peu matrone, et Evgenya Sotnikova un Jemmy agile et percutant. Le Melchtal de Christoph Stephinger et le Leuthold de Christian Rieger sont d'un bon relief, Günther Groisssböck se montre incisif et caustique en Gesler, tandis que le jeune et brillant ténor sicilien Enea Scala est un luxe dans les courtes interventions de Ruedi.
De son côté, le chef israélien Dan Ettinger – directeur musical du Nationaltheater de Mannheim – se révèle peu à l'aise face à la complexité de la partition de Rossini, qui représente à la fois la somme des expériences musicales précédentes et une anticipation de celles à venir, du melodramma romantique italien au grand-opéra français. Si la partie instrumentale est plutôt soignée et précise, grâce à une bonne prestation du Bayerische Staatsorchester, elle manque néanmoins cruellement de grandeur et de souffle épique. De souffle, le choeur maison n'en manque point, quant à lui, et il s'avère comme l'un des principaux motifs de satisfaction de la soirée.
Malgré les réserves émises, c'est toujours grand bonheur que d'entendre Guillaume Tell, qui s'affirme comme la seule partition d'esprit « européen » dans toute l'histoire de la musique : un opéra dont le livret défend les espoirs patriotiques des Suisses, écrit par un italien - à la gloire des Français -, en empruntant leurs couleurs aux forêts germaniques, et un utilisant une masse chorale avec laquelle les russes expriment les vicissitudes de leur peuple !
Guillaume Tell de Rossini au Festival d'été de Munich, jusqu'au 13 juillet
Crédit photographique © Wilfried Hösl
04 juillet 2014 | Imprimer
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