Trop rarement représenté sur les scènes françaises, Hansel und Gretel (1893) d'Engelbert Humperdinck est pourtant un moment privilégié de l'histoire de l'opéra où le pouvoir enchanteur du chant sur le lyrisme est mis en lumière par l'intrigue elle-même : le pouvoir féerique sur les enfants que nous sommes encore. Pourtant, malgré leur qualité plastique, les premières images pouvaient faire craindre le pire : le misérabilisme du lieu de vie des quatre principaux protagonistes - une décharge de poubelles le long d'un périphérique à l'acte I, puis l'apparition de lampadaires autoroutiers distillant une lumière glauque en lieu et place de la forêt à l'acte II - allait-t-il circonscrire l'ouvrage dans une lecture « critique » du charmant chef d'œuvre de Humperdinck ? Par bonheur, ces craintes sont vite dissipées, surtout par le troisième acte, le plus réussi de la production : le décor imaginé par Barbara de Limburg déclenche même une rumeur de satisfaction parmi les spectateurs, au lever du rideau, lui laissant découvrir une profusion de pâtisseries colorées, elles-mêmes noyées dans un univers aux couleurs pastels... parfaitement poétique ! La simplicité – finalement - de cette nouvelle production confiée à Emmanuelle Bastet, respecte en fait celle du conte, avec ses schémas clairs, son manichéisme, son efficacité ; elle parvient à soutenir l'énergie de la musique, à en laisser apparaître les arêtes, les vides et les pleins... mais ce naturel ne peut exister que si les interprètes jouent le jeu.
De ce point de vue, les deux rôles-titres, Marie Lenormand (Hänsel) et Norma Nahoun (Gretel), s'avèrent remarquables d'aisance vocale et de naturel. La première est une superbe comédienne, tout en énergie et en sensibilité ; sa partie vocale, souvent plus lourde dans la partition que celui de Gretel, n'est jamais appuyée, ni outrée. La deuxième - très appréciée l'an passé dans Barbe-Bleue (Offenbach) à Nancy, puis dans Fortunio (Messager) à Limoges - trouve, elle aussi, le bon équilibre entre la naïveté voulue du Volkslied, cher au compositeur, et le déploiement du beau chant.
Le baryton français Vincent le Texier – applaudi cette année, quant à lui, dans Peter Grimes à Nice, puis dans Pélleas et Mélisande à Lyon – campe un Peter empli de bonhomie, de générosité et de mélancolie mêlées, avec une voix qui n'a rien perdu de sa puissance ou de sa séduction. La mezzo allemande Eva Vögel (Gertrude) – ici plus femme désespérée que marâtre - semble légèrement en deçà de ses collègues, malgré une voix chaleureuse, mais il faut dire que le rôle est plus modeste. D'abord grimé en reine d'Angleterre avant de revêtir les habits de lumière d'une star hollywoodienne des années cinquante, la virevoltante Jeannette Fischer se montre irrésistible de drôlerie et de « déglingue » dans la partie de la Sorcière. Enfin, Dima Bawab – dans le double rôle du Marchand de sable et la Fée Rosée – offre sa fraîcheur, son beau minois et son joli brin de voix à ses personnages, tandis que les enfants de la Maîtrise de le Perverie illuminent - par leur joie et leur vitalité - la scène finale.
Dans la fosse, Thomas Rösner fait sonner un Orchestre Nationale des Pays de la Loire dans une forme superlative : la musique de Humperdinck semble couler dans les veines du chef autrichien. Sa lecture est empreinte de transparences, de chaleur, mais aussi de facétie, tout en sachant éviter toute lourdeur, afin de ne jamais couvrir les voix. Bref, un spectacle qui s'avère une vraie réussite, et l'on ne peut que souhaiter la floraison d'autres productions françaises de Hänsel und Gretel à la suite de celle-ci !
Hansel und Gretel d'Engelbert Humperdinck au Théâtre Le Quai à Angers, le 6 janvier 2016
Crédit photographique © Jeff Rabillon
07 janvier 2016 | Imprimer
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