Iain Paterson est le hollandais volant à l'Opéra de Flandre

Xl_derfliegendehollander-2016 © Annnemie Augustjins

Peu après un Elixir d'amour assez sibyllin à l'Opéra national du Rhin, c'est à un Vaisseau fantôme de Richard Wagner quelque peu abscons auquel nous avons assisté à l'Opéra de Flandre, dans une nouvelle production signée par la femme de théâtre allemande Tatjana Gürbaca (on se souvient de son étonnant Parsifal in loco en 2013). Le Hollandais est ici une sorte de Messie, et il en a d'ailleurs les apanages en plus des atours : il fait se multiplier les billets de banque comme le Christ les petits pains et fait jaillir le pétrole comme s'il en pleuvait. Le trésor destiné à acheter Senta à Daland, en revanche, ne sera pas une malle pleine d'or et de pierreries mais une cassette emplie de crucifix de toutes sortes. Daland incarne le capitalisme dans ce qu'il a de plus outrancier, maltraitant et exploitant au maximum son équipage, vêtu de haillons souillés par le précieux or noir dont il semble tirer sa richesse. Les personnages de Senta et Eric sont traités comme des ados attardés, attifés en jogging, la tête encapuchonnée, elle plutôt du genre passionaria, et lui du genre mal dans ses baskets. Si le traitement des personnages n'est pas toujours clair, des images d'une forte puissance évocatrice émaillent le spectacle : la rencontre entre le Hollandais et Senta où, de manière irrépressible, ils se mettent à se déshabiller sous le regard incrédule et gêné du père, ou encore la fête décadente et quasi satanique qui précède leur union. La fin plonge à nouveau le spectateur dans l'interrogation : le départ du Hollandais met tout le village à l'agonie (au sens propre), tandis que Senta reste, elle, bel et bien en vie...

Dans le rôle-titre, le baryton écossais Iain Paterson – touchant Kurwenal cet été au Festival de Bayreuth – s'impose dès son entrée en scène par l'autorité de l'accent et une excellente diction germanique (« Die Frist ist um »). Et dans les passages les plus lyriques de la partition, comme le duo avec Daland, il se montre également convaincant et sait trouver de superbes couleurs. Victime d'un refroidissement subi, c'est en simple figurante que la lettone Liene Kinça interprète finalement la partie de Senta, tandis que sa consœur Gunnel Böhman chante le rôle depuis le côté droit de la scène. La soprano allemande fait preuve d'un remarquable souci musical tout au long de la soirée, et, dans la fameuse Ballade, sa voix sonne franche, superbement timbrée, avec des aigus sûrs et percutants. De son côté, l'excellente basse russe Dmitry Ulyanov – déjà positivement remarquée cette année dans Iolanta de Tchaïkovsky à Lyon et Le Joueur de Prokoviev à Monte-Carlo – interprète le rôle de Daland avec autant de métier que d'inspiration, tandis que le ténor tchèque Ladislav Elgr – superbe Boris (Lady Macbeth de Mzensk) et Jim Mahoney (Mahagony) in loco dernièrement – campe un Eric aux moyens vocaux plus étoffés que de coutume pour ce personnage : le timbre produit toujours le même effet de séduction, la musicalité n'est jamais prise en défaut et les aigus sont magnifiquement amenés. Enfin, la mezzo américaine Raehann Bryce-Davis est une Mary aux graves impressionnants et le ténor britannique Adam Smith, un Timonier à la solidité de chant remarquable.

Mais c'est de la fosse que viendra néanmoins le principal motif d'enthousiasme de la soirée. A la tête d'un Orchestre Symphonique de l'Opéra de Flandre dans une forme éblouissante, le jeune et brillant chef allemand Cornelius Meister livre une lecture exaltée du chef d'œuvre de Wagner, obtenant de la phalange flamande une abondance de saveurs et une subtilité dans les timbres, les nuances et les plans sonores tout simplement grisantes. De même, le Chœur de l'Opéra de Flandre emporte totalement l'adhésion, grâce à un engagement et une cohésion sans faille, qui lui permet de créer un crescendo des plus jouissifs dans sa grandiose scène du III.

Emmanuel Andrieu

Der Fliegende Holländer de Richard Wagner à l'Opéra de Flandre, jusqu'au 22 novembre 2016

Crédit photographique © Annemie Augustijns
 

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