Il Viaggio a Reims au Rossini Opera Festival

Xl_viaggio2 © Amati Bacciardi

Les interprètes entendus la veille dans Armida appartiennent à cette génération de chanteurs rossiniens appellée à assumer la lourde relève des Gasdia, Horne, Blake, Meritt, Ramey – et plus proches de nous Florez, Barcellona, Pertusi ou Peretyatko - qui ont fait la gloire de Pesaro. Mais c'est finalement Il viaggio a Reims, avec ses dix rôles solistes – dans la production d'Emilio Sagi représentée chaque année depuis 2001 avec les jeunes solistes de l'Accademia Rossiniana –, qui permet de prendre la juste mesure de cette « relève ».

Le metteur en scène espagnol transpose l'action dans un spa de luxe : sur un fond d'un bleu profond, qui est à la fois celui du ciel et de la mer, de nombreux transats sont alignés les uns à côté des autres. Les curistes sont tous vêtus de peignoirs blancs, qui laissent parfois entr'apercevoir les jambes longues des femmes ou quelques poitrails masculins virils. Lors de la fête finale, le noir remplace le blanc, et tous enfilent d'élégantes tenues de soirée. Le décor fixe et unique ne permettant cependant que peu de fantaisie, Sagi s'est donc ici préoccupé uniquement des interprètes qui, grâce à leurs qualités d'acteurs respectives, parviennent à restituer la cocasserie de situations aussi hilarantes que dans Le Comte Ory, l'opéra-comique qui héritera d'une grande partie de la musique écrite pour Il Viaggio.

De toute façon, la réalisation scénique ne saurait l'emporter sur sa réalisation musicale, avant tout en raison des exigences vocales ardues auxquelles il confronte les solistes qui, nous le répétons, se sont tous montrés à la hauteur de la tâche. En Lord Sidney, le baryton-basse croate Marko Mimica enthousiasme : quelle présence dans le timbre, quelle arrogance dans l'émission, quelle facilité sur l'ensemble de la tessiture ! On pourrait faire la même remarque pour la basse chinoise Wungpeng Wang – deuxième prix au Concours Operalia en 2012 – qui réussit un authentique tour de force en Don Profondo. Verve, souplesse, précision, sens de la mesure : rien ne manque ainsi dans son célèbre air « Medaglie incomparabili ». Le russe Iiuri Samoilov dessine un excellent Don Alvaro, tandis que son compatriote Anton Markov impressionne par la profondeur de ses graves, comme par le volume sonore de la voix.

Côté ténors, la palme revient à Anton Rositskyi, surprenant d'audace et de bravoure en Libenskof, avec des attaques pleines de mordant, des vocalises hardies, un suraigu percutant, et surtout une réelle capacité à donner du sens aux roulades et sauts d'intervalles hérissant sa partie. De son côté, le jeune maltais Nico Darmanin s'avère un excellent styliste, au phrasé émouvant, mais il éprouve néanmoins quelques difficultés dans le long duo entre Belfiore et Corinna qui le trouve un peu à court de timbre et de souffle.

En ce qui concerne la distribution féminine, la chanteuse israélienne Shahar Lavi est une interprète sensible et son timbre touchant, sa maîtrise du cantabile trouvent à s'employer dans les longues cantilènes de Corinna. Giulia de Blasis campe une remarquable Madama Cortese, à la fois par une forte présence scénique et par une condition vocale excellente. D'un beau relief également, la Contessa di Folleville de la soprano catalane Isabel Rodriguez Garcia, qui compense un timbre un peu fragile par des ornementations précises, voires électrisantes. Enfin, la mezzo japonaise Aya Wakizono se déchaîne en Marchesa Melibea, avec des qualités de timbre et un aplomb dans les vocalises qui donnent envie de la réentendre dans un rôle de plus grande importance comme Rosina ou Cenerentola !

Le jeune chef mexicain Ivan Lopez-Reynoso dirige avec un métier sans faille, doublé d'une remarquable maîtrise du discours rossinien, et d'une réelle attention portée à ses chanteurs. Pleine de vie et de nerf, sa lecture manifeste un constant souci d'équilibre entre fosse et plateau, syle buffo et serio, à la tête d'une Filarmonica Gioacchino Rosssini – phalange fondée l'an passé - fort bien sonnante.

Bref, le cru 2014 laissera un très bon souvenir...et augure d'un avenir radieux pour le chant rossinien !

Emmanuel Andrieu

Il Viaggio a Reims au Rossini Opera Festival

Crédit photographique © Amati Bacciardi

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