Lancelot, Amadis, Renaud, Roland... ils sont de retour ! Mais ces preux n'ont que peu de rapport avec ceux qui peuplèrent l'imaginaire des foules avides d'aventure et de romanesque. Avec les Chevaliers de la Table ronde, dont une première version au Théâtres des Bouffes-Parisiens en 1866, Louis-Auguste-Florimond Ronger (dit Hervé) s'en donne à coeur-joie dans la bouffonnerie, l'outrance, l'excès et le lyrisme aussi, car certaines de ses mélodies sont ravissantes... Le livret de Chivot et Duru - un duo auquel on doit également La Mascotte d'Edmond Audran, Les Cent Vierges de Charles Lecoq ou Madame Favart de Jacques Offenbach (récemment mis à l'affiche de l'Opéra-Comique) - exploite habilement l'anachronisme, le calembour, le coq-à-l'âne, et il ne fait nul doute que le « compositeur toqué » ait lui-même mis la main à la pâte...
Après avoir mis en scène Le Petit Faust (du même Hervé) à l'Odéon de Marseille en mars dernier, on pouvait faire confiance à Jean-François Vinciguerra de redonner à l'ouvrage toute la cocasserie et la bouffonnerie dont il fourmille. C'est dans le cadre du festival La Route lyrique, chapeauté par l'Opéra de Lausanne tous les deux ans, que le spectacle a vu le jour, le 7 juin dernier au Théâtre du Jorat à Mézières, pour finir sa course le 12 juillet au Centre du Chêne d'Aubonne, après avoir investi pas moins de dix-sept autres villes (dont Lausanne et Genève) et villages de la Suisse Romande. Le chanteur-metteur en scène a adapté le texte, et ce sont moult clins d'oeil qu'il fait à notre actualité, à la couleur locale (Ovomaltine et autre), parodiant allègrement des chansons ou de célèbres dialogues de films entrés dans le patrimoine culturel francophone. La scénographie (signée Dominique Pichou) est délicieusement kitsch, constituées de toiles peintes représentant un château médiéval avec tourelles et mâchicoulis, tandis que les costumes d'Amélie Reymond assument leur côté images d'Epinal avec beaucoup de facétie.
Tous les chanteurs réunis ici sont de jeunes artistes issus des cantons suisses francophones, à l'exception de Vinciguerra himself qui s'est gardé le rôle inénarrable de Merlin, vieillard gâteux et au verbe néanmoins haut, à la barbe blanche tellement démesurée que ses compères n'arrêtent pas de la piétiner à son grand agacement ! Avec son sourire ultra-bright et sa forfanterie, Hoël Troadec est un Roland irrésistible de drôlerie, et possède par ailleurs le contre-Ut facile. C'est cependant la Mélusine de Laurène Paterno qui retient le plus l'attention, avec son spectaculaire registre aigu qui la destine à être une remarquable Reine de la Nuit. Le double talent de chanteur et de comédien de Pierre Héritier, en tant que Rodomont, est également surprenant. Béatrice Rani est une duchesse Totoche « vraisemblablement semblant », comme aurait dit Hervé, tandis que Jean Miannay fait preuve de belles envolées vocales en Médor. Anne-Sophie Petit a une diction parfaitement claire, doublée d’un timbre et d’une projection tout aussi limpide. Avec sa mine et ses grimaces patibulaires, Richard Lahady est plus vrai que nature en méchant de service, mais tous ses autres collègues se distinguent par leur engagement scénique et méritent donc d'être cités : Joël Terrin en Lancelot, Joé Bertili en Ogier le Danois, Bastien Combe en Renaud, Maxence Billiemaz en Amadis et enfin Jean-Philippe Guillois en Fleur de Neige (ce dernier signant également les chorégraphies du spectacle...).
Enfin, à la tête de l'Ensemble instrumental de l'Opéra de Lausanne - composé d'une quinzaine d'étudiants de la Haute Ecole de Musique -, le chef Jacques Blanc fait mousser la partition de Hervé (dans une version réduite réalisée par Perrine Thibault) avec beaucoup d'entrain et d'enthousiasme et, face aux acclamations nourries du public, devra reprendre pas moins de trois ou quatre fois le finale !
Les Chevaliers de la Table ronde de Hervé dans le cadre de La Route lyrique en Suisse Romande, jusqu'au 12 juillet 2019
Crédit photographique (c) Alan Humerose
10 juillet 2019 | Imprimer
Commentaires