En ce jour de la « fête des femmes », l’Opéra de Saint-Etienne a voulu rendre hommage à seize d’entre elles, seize carmélites mortes pour leur foi pendant la Révolution, en mettant à l’affiche l’œuvre-phare de Francis Poulenc, Dialogues des carmélites, dans une mise en scène de Jean-Louis Pichon (étrennée au Teatro de la Maestranza de Séville en 2003). Le spectacle affirme un louable impératif de sobriété et d’authentique ferveur religieuse : décors stylisés (conçus par Alexandre Heyraud) visant à l’essentiel (une immense grille pour le cloître comme pour la prison), costumes (signés par Frédéric Pineau) dépouillés jusqu’à l’extrême (les carmélites portent l’habit traditionnel de leur ordre), irruption de quelques accessoires au moyen d’un plancher mouvant pour situer les différents lieux de l’action (un lit, quelques chaises). A travers sa proposition scénique, l’homme de théâtre stéphanois a clairement souhaité interpeller le public et le confronter à ses propres angoisses, à ses interrogations et à sa solitude – à l’image du parcours spirituel et initiatique de Blanche de la Force, héroïne toujours en butte à sa peur innée de la mort. L’admirable épilogue – si difficile à traiter – offre une scène d’une grande beauté visuelle mais surtout d’une saisissante force tragique : sur une mer houleuse bringuebale seize guillotines qui disparaissent l’une après l’autre après avoir rempli leur affreux office, tandis que l’océan se teinte de sang et que le Salve Regina entonné par les carmélites s’amenuise pour laisser place à un poignant et définitif silence.
Dialogues des Carmélites, Opéra de Saint-Etienne; © Cyrille Cauvet
La distribution réunie à Saint-Etienne rend pleinement justice à la partition de Poulenc, le texte de George Bernanos étant de son côté déclamé dans un français parfaitement intelligible. Dans le rôle de Blanche de la Force, Elodie Hache – qui avait retenu notre attention in loco en janvier dernier dans La Vie Parisienne – s’avère d’une justesse idéale et d’une rare force de conviction, épousant par ailleurs, avec une belle facilité, l’ensemble de la tessiture. Excellente comédienne, la jeune soprano française parvient à traduire les angoisses de la jeune aristocrate, et trouve très certainement ses meilleurs moments dans l’entretien avec Madame de Croissy et dans la magnifique scène où son frère, le Chevalier, vient lui dire adieu. Une fine musicienne qui, avec davantage d’expérience du rôle, pourrait en devenir une interprète d’exception, ce qu’elle n’est pas loin d’être déjà. De son côté, Capucine Daumas campe une Sœur Constance pleine d’espièglerie et de touchante simplicité. Dans le rôle de la vieille Prieure, Madame de Croissy, la mezzo russe (mais installée en France depuis longtemps) Svetlana Lifar convainc également, en nous offrant une mort sans fard, dénuée de toute concession, d’une puissance dramatique confondante car juste et réaliste. Malgré des aigus parfois indurés, Vanessa Le Charlès – belle Tosca ici-même la saison dernière – campe une solide et forte Madame Lidoine, ce qui n’exclut en rien une rayonnante humanité et une profonde compassion dans son jeu scénique – notamment lors de ses adieux à ses « filles » qui se pressent autour d’elle comme pour former une pietà. Bien loin des mezzos en fin de carrière auxquelles on donne souvent le rôle, Marie Kalinine chante Mère Marie avec toute l'impétuosité de sa jeunesse, et de ses conséquents moyens vocaux, rendant par ailleurs, scéniquement parlant, toute la fierté et la rigidité du personnage. Parmi les autres carmélites, signalons la touchante Mère Jeanne de Jeanne-Marie Lévy. Enfin, les rôles masculins sont parfaitement distribués : Marc Barrard campe un Marquis profondément humain, Eric Huchet se distingue par son timbre percutant dans le rôle de L’aumônier, Cyril Rovery est un Geôlier à la voix aussi robuste que sa plastique, tandis qu’Avi Klemberg offre un Chevalier de La Force à la diction et au phrasé exemplaires.
Premier chef invité de l’Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire, le belge David Reiland offre une direction très dramatisée de la partition de Poulenc, avec une inexorable progression dans la scène finale, tout en préservant un parfait équilibre entre fosse et plateau. Quant au Chœur Lyrique Saint-Etienne Loire, il donne le meilleur de lui-même et participe pleinement à la totale réussite de la soirée, ainsi qu’à l’exceptionnel enthousiasme du public.
Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc à l’Opéra de Saint-Etienne, jusqu’au 12 mars 2017
Crédit photographique © Cyrille Cauvet
Commentaires