C’est avec émotion que nous avons retrouvé la superbe salle de l'Opéra Royal de Wallonie-Liège, seize mois après l’avoir quittée pour la dernière fois, pour une captation vidéo de La Fille du régiment de Donizetti, disponible depuis hier lundi 21 juin sur le site de l’institution wallonne. La mise en scène de Shirley et Dino (que nous avions vue à Montpellier en juillet 2018) a malheureusement fait les frais de la pandémie, et une mise en espace signée par Marie Lambert-Le Bihan l’a remplacée. Avec juste quelques malles en guise de scénographie, son travail se résume essentiellement à régler les entrées et sorties des chanteurs qui évoluent sur le devant de la scène, tandis que l’orchestre est placé derrière eux, et que les parterre et premier balcon sont investis par les choristes (le chœur féminin au balcon et le chœur masculin au parterre, sans pour autant entraîner de décalages). Les costumes sont particulièrement distrayants, et surtout parfaitement portés, comme celui de bidasse par la jeune Marie de Jodie Devos qui s’en donne à cœur joie de jouer les garçons manqués... avant de retrouver sa féminité dans les bras de Tonio.
Ce dernier est interprété par l'un des meilleurs titulaires du rôle actuellement : le ténor américain Lawrence Brownlee. Si le texte parlé reste un peu exotique, ce qui ajoute ici au charme du personnage, son français chanté est impeccable. L’onctuosité et le moelleux du timbre, reconnaissable entre tous, demeure un baume pour les oreilles, et s’avère parfaitement adapté à l’agilité vocale que nécessite sa partie. Les neuf contre-Ut de « Ah ! mes amis, quel jour de fête ! » sont négociés non seulement sans la moindre trace d’effort, mais avec une fluidité tout simplement prodigieuse. Et que dire des phrasés raffinés de « Pour me rapprocher de Marie » qui tirent du public une nouvelle salve d’applaudissements !
Face à lui, la soprano wallonne Jodie Devos ne lui cède en rien, et effectue une formidable prise de rôle. Elle apporte à Marie sa fraîcheur, une voix lumineuse et malléable, passant sans sourciller des accents martiaux à la bouffonnerie, puis à la tristesse (émouvant « Par le rang et par l’opulence »). Les vocalises s’épanouissent sans trébucher, les aigus gagnent peu en peu en puissance - même si le suraigu du fameux « Salut à la France ! » s’avère un peu tendu -, ce dont la petite centaine de Happy few répartie entre les deuxième, troisième et quatrième balcons ne lui tient évidemment pas rigueur, lui faisant même un triomphe mérité au moment des saluts.
Pietro Spagnoli est un grand habitué du rôle de Sulpice, et si son accent italien reste très audible, il n’en campe pas moins son personnage avec beaucoup de conviction et de drôlerie. Mais en termes de bouffonnerie, l’impayable Julie Pasturaud lui vole la vedette, en incarnant une savoureuse Marquise de Berkenfield, continuellement tiraillée par ses sens... bien en éveil ! La Duchesse de Crakentorp, campée par le ténor belge Patrick Delcour (qui incarne aussi un Hortensius efféminé...), nous a en revanche moins convaincu : il possède certes une indéniable vis-comica, mais le traitement du personnage se montre aussi outré que facile.
Cravachant l’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège dans l’Ouverture, le chef catalan Jordi Bernacer semble oublier que ses instrumentistes sont placés sur le plateau et non en fosse, des troupes qu’il tient par ailleurs avec la badine d’un commandant faisant régner la discipline, mais tolérant également une liberté dans les tempi qui rendent justice à la joyeuse musique de Gaetano Donizetti.
En guise de conclusion, prévenons le lecteur que l’ORW a dévoilé sa saison 21/22, le même jour que cette captation, et que la nomination du nouveau directeur – après la tragique disparition de Stefano Mazzonis Di Pralafera en février dernier – est maintenant imminente…
La Fille du régiment de Gaetano Donizetti à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, le 19 juin 2021 (et en replay sur le site de l'Opéra)
Crédit photographique © Opéra Royal de Wallonie-Liège
22 juin 2021 | Imprimer
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