Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’Opera seria rossinien réussit plus que bien à l’Opéra de Marseille, et après les triomphes qu’ont successivement constitués Moïse et Pharaon en 2014, Semiramide en 2015, puis Tancredi en 2017, c’est un succès non moins retentissant que vient de récolter la première de La Donna del lago (donnée sous format concertant) dans la cité phocéenne.
Comme à sa bonne habitude, Maurice Xiberras a réuni les meilleurs chanteurs du moment aptes à défendre avec brio ce difficile répertoire, à commencer par Karine Deshayes à qui les héroïnes rossiniennes vont décidément comme un gant - comme on a déjà pu le vérifier à Montpellier dans Armida l’an dernier, ou Semiramide en début d’année à l’Opéra de Saint-Etienne. Une fois de plus, la mezzo française (reconvertie dans les emplois de sopranos dramatiques d'agilité) comble tous nos espoirs : la couleur et l’étendue de la voix sont exactement celles d’Elena, avec une séduction irrésistible dans le timbre et une aisance stupéfiante dans le rondo final qui a fait chavirer la salle !
Après Osiride (Mosè in Egitto) au San Carlo de Naples en mars et Idreno (Semiramide) pas plus tard que la semaine dernière à La Fenice de Venise (nous y étions), le ténor sicilien Enea Scala se confronte à une autre prise de rôle rossinienne en cette année 2018, Rodrigo, autre grand rôle de baritenore, dont il est aujourd’hui le meilleur exemple aux côtés de Michael Spyres et de Gregory Kunde. Dès son air d’entrée, le fameux « Eccomi a voi », il délivre un personnage fougueux et généreux, jamais pris au piège des terrifiants écarts taillés sur mesure pour Andrea Nozarri, le célèbre créateur du rôle. Le chef de clan y déclare son amour pour Elena, en offrant une cavatine riche et solaire, aux aigus triomphants (c'est à dire pas avare en contre-Ut… allant même jusqu'à un contre-Ré décoiffant !). Il parvient sans difficulté à se différencier de son rival Giacomo… pour devenir ici le Primo tenore ! Vivement de le retrouver sur les planches marseillaises, où il viendra prochainement affronter deux nouvelles prises de rôle : Alfredo Germont (La Traviata) en décembre, puis le Duc de Mantoue (Rigoletto) en avril 2019.
Non moins spectaculaire s’avère le chant de la mezzo arménienne Varduhi Abrahamyan, avec un engagement physique et vocal qui rend particulièrement crédible son Malcolm. Avec son timbre riche et profond, d’une virtuosité électrisante, elle offre un parfait exemple de grande maîtrise belcantiste, notamment dans la cabalette « Oh ! Quante lacrime finor versai », où elle offre un da capo varié, avec des vocalises tourbillonnantes. De son côté, avec son émission idéalement flexible et son panache dans les passages de bravoure, le ténor uruguayen Edgardo Rocha – exceptionnel Don Ramiro (La Cenerentola) en début d’année à l’Opéra de Monte-Carlo – se montre sans reproche dans le rôle de Giacomo, tandis que la basse italienne Nicola Ulivieri (Douglas) brille dans son grand air à effet « Sul labbro tuo straneri ». Enfin, les comprimari, Rémy Mathieu (Serano & Beltram) et Hélène Carpentier (Albina) se montrent à la hauteur de leurs glorieux camarades.
Positivement remarqué lors d’un Trittico messin en 2016 puis d’un Signor Bruschino strasbourgeois en 2017, le jeune chef espagnol José Miguel Perez-Sierra – à la tête d’un Chœur et d’un Orchestre de l’Opéra de Marseille qui se couvrent de gloire ce soir – électrise littéralement l’audience par sa rigueur musicale, la variété de l’accentuation rythmique, et la pureté d’une ornementation qui n’entrave jamais la veine mélodique.
Bref, une fois encore, Marseille mérite pleinement son titre de capitale française du belcanto !
La Donna del lago de Gioacchino Rossini à l’Opéra de Marseille – les 10, 13, 16 & 18 novembre 2018
Crédit photographique © Pascale Anthon-Dao
11 novembre 2018 | Imprimer
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