Avouons d’emblée que cette production d’I Capuleti e i Montecchi de Vincenzo Bellini – imaginée par Nadine Duffaut pour l’Opéra Grand Avignon en 2009 et reprise ces jours-ci à l'Opéra de Marseille – ne nous a guère enthousiasmé, surtout après la réussite qu’a constitué sa récente Katia Kabanova (dans la maison précitée) en novembre dernier. Dans des décors conventionnels et interchangeables, conçus par Emmanuelle Favre, le plateau s’anime plutôt bien à l’arrière-scène (la foule, les combats), mais consterne devant : les chanteurs, la main sur le cœur ou épée au poing, semblent livrés à eux-mêmes, et ne doivent dès lors compter que sur leur intelligence théâtrale. Le kitsch de la scène finale qui laisse entrevoir, tandis qu’expirent les deux héros en contrebas, un couple vêtu de blanc gravir un escalier qui monte vers les cintres, comme s’il montait au paradis, laisse notamment bien dubitatif…
A contrario, l’exécution musicale et les performances vocales atteignent des sommets… et provoque l’hystérie du public phocéen à l’issue de la représentation. Grand habitué de la phalange maison, le chef italien Fabrizio Maria Carminati transcende l'Orchestre de l’Opéra de Marseille dans ces préludes lumineux qui précèdent les airs : de véritables mélodies sans paroles jaillissent, s’épanchent, retenues et pathétiques. Dès l’introduction orchestrale, le drame à venir est annoncé. Carminati imprime à la fin du premier acte une pulsion oppressante et, dans la scène finale, retient à l’extrême la mélodie pour mieux la faire éclater. La musique enveloppe en ondes successives ; l’émotion est constamment présente dans cette scène si efficace dans sa simplicité où il n’est consenti ni à Giuletta, ni à Romeo, d’air de sortie. En vrai chef d’opéra, il entoure ses interprètes de l’attention la plus tendue, il participe au chant et le fait vibrer, lui donnant sa respiration et le portant à l’incandescence rouge vif des lumières !
Après sa fascinante Armide rossinienne le mois dernier à l’Opéra de Montpellier, Karine Deshayes trouve dans le personnage de Romeo un terrain d’élection, et chante le rôle comme personne aujourd’hui (hormis peut-être Joyce Di Donato). Le grave, sombre et corsé, renforce un chant toujours admirablement vécu, le timbre ne perdant jamais son velours ni les vocalises leur précision. Son Romeo sait respecter toutes les nuances de la partition qu’elle parachève par l’expression élégiaque d’une douloureuse intensité dans la mort. Moult fois entendue sur la scène phocéenne où la soprano italienne est adulée (Manon en 2015 ou encore Ophélie l'an passé), Patrizia Ciofi trouve dans Giuletta une tessiture qui lui convient parfaitement et dans laquelle son timbre fragile et délicat s’épanouit à merveille. A chaque instant, elle semble respirer avec la musique et elle communique à son héroïne une sensibilité d’enfant, agitée dans ses gestes comme dans son chant, quand elle comprend que Romeo va mourir. Le timbre retrouve son grain si rare et reconnaissable entre tous, l’interprète sa musicalité parfaite. « Eccomi in lieta vesta » est parcouru par une sorte de frémissement : passionné, intense ! Le reste du plateau n’a pas à rougir, à commencer par Nicolas Courjal – saisissant Pimène (Boris Godounov) in loco en février dernier – qui fait grande impression dans le rôle de Capellio, avec sa riche voix de basse, conduite avec une souplesse exceptionnelle. Confirmant – ce soir encore – tous les espoirs que nous avons placés en lui, le jeune ténor bordelais Julien Dran enthousiasme en Tebaldo par la franchise et l’aisance avec lesquelles il triomphe de tous les obstacles de sa difficile partie. Enfin, la basse française Antoine Garcin complète efficacement l'affiche dans le rôle plus épisodique de Lorenzo.
Encore une jubilatoire soirée de belcanto à l'Opéra de Marseille !
I Capuleti e i Montecchi de Vincenzo Bellini à l’Opéra de Marseille, jusqu’au 4 avril 2017
Crédit photographique © Christian Dresse
03 avril 2017 | Imprimer
Commentaires