Karine Deshayes, luxueuse Belle Hélène à l'Opéra de Tours

Xl_helene3 © François Berthon

Avec cette production de La Belle Hélène de Jacques Offenbach, présentée au Grand-Théâtre de Tours à l'occasion des Fêtes de fin d'année, le metteur en scène français Bernard Pisani paie un tribut - avec le concours de son décorateur Eric Chevalier et de son costumier Frédéric Pineau - à l'univers des péplums hollywoodiens, en pratiquant un art de l’anachronisme que n’aurait certainement pas renié le petit Mozart des Champs-Élysées. On retrouve ce goût du « décalé » dans des dialogues parlés réécrits (qui ne trahissent cependant jamais le compositeur et ses deux librettistes) qui évoquent notre contemporanéité avec des palabres tels que « Chronopost », « Fort de Brégançon » ou « Airbus A380 » – qui prend ici la place de la « locomotive » dans la fameuse charade –, autant de clins d’œils appuyés qui réjouissent le public. La partie musicale n'est pas en reste avec des citations directes d'opéras comme Carmen et Les Contes d'Hoffmann, et même de... Star Wars ! Enfin, se souvenant qu’il a débuté comme danseur, Pisani parsème le spectacle de chorégraphies déjantées – qu'il signe lui-même – et qui égayent un peu plus l’atmosphère.

Karine Deshayes ne fait vocalement qu’une bouchée du rôle d’Hélène, avec sa voix ample, admirable de souplesse et tellement déconcertante de légèreté dans l’aigu. Plus belle que jamais, la mezzo française est ainsi la plus crédible des Hélène (version nymphomane tout de même...), peut-être parce qu’elle met dans la déclamation beaucoup d’autodérision. Et puis le timbre s’est encore épanoui, pulpeux et sensuel. Le charme opère ainsi sur les spectateurs autant que sur Pâris, incarné ici par le ténor québecois Antonio Figueroa, qui en possède le physique et l'élégance. Il n'éprouve par ailleurs aucune difficulté dans la tessiture aiguë qui lui incombe, avec un timbre qui a bien le charme requis par le « fier séducteur », en plus d'une diction à faire frissonner de plaisir. Un grand Pâris, plus prince que berger...

Les seconds rôles – comme on les appelle à tort chez Offenbach – ne méritent également que des éloges. Le trio formé par Jean-Marc Salzmann (Calchas), Ronan Nédelec (Agamemnon) et Antoine Normand (Ménélas) s'avère impayable de drôlerie. Comédien plein de saveur, Salzmann est également très bon chanteur, tout comme Ronan Nédelec, qui apporte au Roi des Rois une autorité burlesque. De son côté, Antoine Normand donne au personnage de royal cocu qu'il incarne un humour qui enchante, et assure avec aplomb sa partie dans tous les passages chantés. Tous trois recueillent des applaudissements mérités après le génial trio patriotique qu'Offenbach composa, pour le III, en parodiant avec tant de bonheur le fameux trio du deuxième acte de Guillaume Tell de Rossini.

Le rôle du « bouillant » Achille est tenu parfaitement par Vincent de Rooster, comédien lyrique des plus sûrs, au côté des deux Ajax d'Yvan Rebeyrol et de Jean-Philippe Corre qui complètent, avec toute la fantaisie voulue, la galerie pittoresque des héros de l'aventure. Il est dommage, dès lors, qu'Eugénie Danglade campe un Oreste que la mezzo française a tendance à « surjouer », et puis nous préferrons bien mieux - à titre personnel - entendre un contre-ténor dans cette partie.

Bref, chacun est à sa place (à un bémol près) dans cette mécanique de précision qu'est la folle musique d'Offenbach, dirigée par l'excellent directeur musical de la maison tourangelle Jean-Yves Ossonce, à la tête d'un Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours idéal de rythme comme de précision... mais surtout de gaieté ! Au lieu des drogues, somnifères et autres tranquillisants, voilà un spectacle que la Sécurité Sociale devrait rembourser en ces temps de morosité et d'anxiété générales...

Emmanuel Andrieu

La Belle Hélène de Jacques Offenbach à l'Opéra de Tours, le 30 décembre 2015

Crédit photographique © François Berthon

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