Nous avons déjà vu cette Armida de Gioacchino Rossini à Gand, et l’on ne reviendra pas sur la mise en scène d’une rare ineptie (et laideur) de Mariame Clément, qu’il nous a déjà fallu supporter une première fois lors de sa création à l’Opéra de Flandre en 2015. La seconde (mais heureusement dernière) contrariété de la soirée vient de la fosse. Malgré tous les efforts et la belle ardeur déployés par le jeune chef italien Michele Gamba, assistant régulier de Daniel Barenboïm à la Staatsoper de Berlin, l’Orchestre National Montpellier Occitanie ne brille guère ce soir. Dès l’Ouverture, les choses prennent une mauvaise tournure, le premier cor ratant son (certes) difficile solo. La phalange montpelliéraine ne cesse ensuite de connaître des problèmes de justesse, d’homogénéité et de précision.
La distribution vocale réunie par Valérie Chevalier sauve ainsi la soirée, et les deux rôles principaux valaient même à eux seuls le déplacement. On a résolu le problème posé par la distribution des six rôles de ténors en confiant un double emploi à deux d'entre eux. On apprécie la bonne prestation du ténor argentin Dario Schmunck (Goffredo/Carlo), déjà présent à Gand, qui surclasse son comparse italien Edoardo Milletti (Gernando/Ubaldo), dont le joli timbre est quelque peu gâché par une technique respiratoire parfois défaillante, courant un peu après les notes du « Non soffriro l’offesa ». Le britannique Daniel Grice n’est pas exactement un baryton belcantiste, mais il remplit dignement son office en Idraote/Astarotte. De son côté, le jeune ténor italien Giuseppe Tommaso tient honorablement les brèves parties du personnage d’Eustazio.
Déjà présent à Gand, Enea Scala – applaudi aussi l’an passé dans Ermione (rôle de Pilade) au TCE et La Juive (rôle de Leopold) à l’Opéra de Lyon – renouvelle l’enthousiasme qu’avait suscité en nous son Rinaldo. Aux côtés de Gregory Kunde, le ténor sicilien semble aujourd’hui sans rival dans les rôles conçus par Rossini à l’intention d’Andrea Nozzari. On ne peut qu’admirer la manière dont la voix, au départ plutôt claire, se rapproche maintenant de celle d'un baritenore, avec un grave désormais large et sonore, et un aigu d’une incroyable fulgurance, parfaitement adapté à l’aspect martial du personnage.
Enfin, dans le rôle-titre, Karine Deshayes comble tous nos espoirs. La couleur et l’étendue de la voix sont exactement celles d’Armida, avec une séduction irrésistible dans le timbre et une aisance stupéfiante dans les vocalises. Dans son grand air du II, « Amor al dolce impero », sa précision dans les écarts les plus hardis et ses accents de suavité soudaine émerveillent : tant de souplesse, tant de facilité, tant de fantastique maîtrise n'ont aujourd'hui que peu d'égal. Complètement habitée dans sa longue scène finale, en grande tragédienne lyrique qu’elle est, Deshayes déclenche le délire dans la salle au baisser du rideau. Une prise de rôle marquante, donc, mais nous attendons avec impatience de revoir la mezzo française dans un contexte esthétique plus inspirant…
Armida de Gioacchino Rossini à l’Opéra national de Montpellier, jusqu’au 5 mars 2017
Crédit photographique © Marc Ginot
01 mars 2017 | Imprimer
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