Aux côtés des Musicales du Luberon (où nous avons assisté à un récital d’Eva Zaïcik en juillet), le Festival Durance Luberon est l’autre grande manifestation estivalo-musicale de ce petit paradis de l’Hexagone qu’est le Luberon. Pour sa 23ème édition, étalée du 7 au 23 août 2020, Luc Avrial (son directeur général et artistique) a concocté une programmation éclectique, qui s’est déroulée comme d’habitude dans « les sites inspirés des villages, domaines viticoles et châteaux prestigieux » de la région. A l’instar de l’Opéra des Landes, qui a finalement pu avoir lieu (ce seront les deux seuls festivals lyriques auxquels nous aurons pu assister en France en ce triste été 2020), il faut saluer l’abnégation de l’équipe artistique qui a dû se battre contre vents et marées pour que le festival ait lieu. La programmation comprenait deux titres lyriques cette année, donnés en format dit « de poche » (notamment expurgés de leur chœur) : Les Pêcheurs de perles et un Rigoletto dont nous avons eu la chance de voir l’une des deux représentations, données d’abord dans la cour d’honneur du château de Peyrolle-en-Provence, puis dans celle du fabuleux château de La Tour d’Aigues.
La soirée repose en grande partie sur le protéiforme musicien (et homme de théâtre) russe Vladik Polionov qui assure la partie musicale autant que la partie scénique, et qui joue également les maîtres de cérémonie en présentant l’ouvrage de Giuseppe Verdi, dont il détaillera chaque acte (souvent avec malice) pour un public qui n’est pas forcément introduit à l’univers lyrique. Plutôt que de mise en scène, l’on parlera de mise en espace, et c’est merveille que de voir comment avec trois bouts de ficelle et deux francs six sous, l’on peut présenter un spectacle qui se tienne : il suffit pour cela d’une intelligente direction d’acteurs, ce qui est le cas ici. On retiendra notamment l’idée de faire apparaître Gilda depuis les fenêtres du château, de même que le ténor délivrera les reprises du célèbre « La Donna è mobile » depuis ces mêmes fenêtres. Et pianiste hors-pair, Vladik Polionov parvient à faire ressortir toute la richesse et la finesse de l’instrumentation de Verdi avec son seul instrument… là aussi du grand art !
Dans le rôle-titre, nous avons le plaisir de retrouver le formidable baryton français Kristian Paul (Dulcamara dans le festival landais déjà mentionné) qui impressionne d’emblée par son incroyable gamme de couleurs expressives, alliée à des aigus généreux et à une intense énergie dans l’accent. Le comédien s’avère par ailleurs magnifique, conférant au rôle-titre une grande charge émotionnelle, notamment dans sa façon de transpirer l’humanité de cet être difforme rongé par le remords. La rage vengeresse lui convient, cela dit, tout autant que la fragilité du père aimant, et le superbe air « Cortigiani, vil razza », entonné dans une ahurissante rage, nous a glacé le sang. Un grand Rigoletto ! Quel bonheur également de retrouver, en Gilda, l’attachante soprano Amélie Robins (on se souvient notamment de son émouvante Ann Trulove la saison passée à l'Opéra de Nice) qui brosse un portrait tout en finesse de son personnage : le phrasé délicat de « Caro nome », où les notes aiguës semblent papillonner comme des plumes légères, signale la nature encore virginale de l’héroïne. De son côté, le ténor phocéen Rémy Poulakis offre au Duc de Mantoue sa remarquable présence en scène, ses accents convaincants, mais aussi sa projection franche, et surtout un timbre solaire typiquement latin (le ténor est d’origine grecque…). Les Comprimari convainquent également (Juan Antonio Nogueira en Borsa, Patrick Agard en Monterone et Mikhael Piccone en Marullo), mais il faut retenir derechef la Maddalena au timbre capiteux de Marie Pons et l’impressionnant Sparafucile, aux graves d’outre-tombe, de la basse Florent Leroux Roche.
Un petit mot, en guise de conclusion, sur le concert du lendemain qui donnait à entendre, sur la charmante place de l’Eglise de Grambois (le village limitrophe du précédent), un récital qui réunissait la célèbre mezzo montpelliéraine Marie-Ange Todorovitch et la jeune (et prometteuse !) soprano marseillaise Lucille Pessay. Si on connaissait le grand talent de la première (entendue cette saison dans La Reine de Saba à Marseille et La Dame de pique à Nice), on reste assez sidéré devant le courage de la seconde d’aborder un air comme « Ebben ? Ne andro lantano » (La Wally), un des plus ardus de tout le répertoire, et de quel magistrale façon qui plus est ! Avec son timbre rond et corsé à la fois, elle rend justice aux redoutables difficultés techniques de cette aria, et à travers son visage comme dans sa voix passent toutes les nuances des sentiments de son personnage... Un grand bravo à elle aussi !
Rigoletto de Giuseppe Verdi au Festival Durance Luberon, les 19 & 21 août 2020
Crédit photographique © Bertrand Périsson
30 août 2020 | Imprimer
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