La Bohème selon Emilio Sagi au Teatro Nacional de Sao Carlos de Lisbonne

Xl_n._tanasii_et_g._terranova_dans_la_boh_me_au_teatro_sao_carlos © Antonio Pedro Ferreira

Programmée en 2020, puis en 2021, c’est finalement en 2022 que cette production de La Bohème de Giacomo Puccini, en provenance de l’Opéra d’Oviedo et imaginée par Emilio Sagi, arrive au Teatro Nacional de Sao Carlos de Lisbonne – qui n’avait plus monté de spectacle lyrique en version scénique depuis le début de la pandémie, soit depuis plus de deux ans !

Comme toujours avec le metteur en scène asturien qui signe également la scénographie, la production s’avère « classique » dans son traitement : une présentation fraîche et vivante du Paris-bohème (transposée à la fin des années 60 cependant) où ne manquent ni la mansarde avec un poêle à charbon, ni un quartier latin animé, ni une barrière d'Enfer enneigée, mais avec une multitude de détails secondaires qui contribuent à rendre vivants et émouvants les différents tableaux. Ainsi de la malice de Mimì qui aide Roldofo à cacher sa clé sous le fauteuil au I, ou ce deuxième acte du Café Momus, plein de vie et de couleurs, et qui est prétexte à montrer une manifestation du Mouvement de Libération des Femmes (MLF) avec deux affiches revendicatives (« On ne naît pas femme, on le devient ! » et « Même travail, même salaire ! »), ajoutant une dimension politique au livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa.

Positivement remarquée en début de saison à l’Opéra Royal de Wallonie dans le rôle de Tatiana, la soprano moldave Natalia Tanasii n’enthousiasme pas moins dans celui de Mimi. Lirico spinto au grave solide et capable d’atteindre l’aigu sans rupture, elle donne moins à voir la fragilité de l’héroïne qu’une sorte de dignité tragique transcendant la destinée de la cousette poitrinaire. Distribuer une soprano de ce type dans le rôle, c’est lui éviter d’emblée toute mièvrerie. Le ténor italien Gianluca Terranova – déjà interprète du même rôle à l'ORW en juin 2016 auprès de la Mimi de Patrizia Ciofi – a pris de l’embonpoint et se montre inversement d’un format vocal moins imposant qu’il y a cinq ans (simple méforme passagère ?), l’équilibre du couple en souffrant quelque peu dans les duos. Mais ce qu’on perd ici en projection, on le gagne néanmoins en demi-teintes, comme dans les fameux « Che gelida manina » et « O Mimi tu piu non torni ». En grande forme, le baryton colombien Christian Lujan est un Marcello lyrique, puissant, et surtout soucieux de faire vivre un personnage complexe. La jeune soprano portugaise Barbara Barradas joue Musetta avec beaucoup de chien, mais son éclat n’est pas seulement scénique, sa voix fraîche possédant toute la souplesse et le brillant requis par son personnage. Enfin, Diogo Oliveira (Schaunard) et André Henriques (Colline) complètent le quatuor des bohèmes avec ferveur et justesse.

Pour le chef italien Andrea Sangueti initialement annoncé, son compatriote Domenico Longo fait émerger, à la tête d’un Orchestra Sinfonica Portuguesa superbement sonnant, toutes les finesses de l’orchestration de Puccini, sans jamais oublier que la fonction première de l’accompagnement reste la mise en valeur des voix, avec un choix des tempi toujours judicieux.

A signaler, et c’est tout à l’honneur de la célèbre institution portugaise dirigée par la soprano lusitanienne Elisabete Matos, qu’une représentation supplémentaire aura lieu le dimanche 20 mars, dont les recettes iront en aide à l'Ukraine via l'Unicef et la Croix-Rouge, « deux institutions qui œuvrent chaque jour pour soutenir les personnes déplacées ».

Nous ne pouvons que saluer cette belle initiative !

Emmanuel Andrieu

La Bohème de Giacomo Puccini au Teatro Nacional de Sao Carlos de Lisbonne, le 15 mars (et jusqu’au 20 mars 2022)

Crédit photographique © Antonio Pedro Ferreira

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