La Damnation de Faust en guise d'adieux pour Jean-Louis Grinda à l'Opéra de Monte-Carlo

Xl_pene_patti_et_aude_extr_mo_dans_la_damnation_de_faust___monte-carlo © Alain Hanel

Après avoir donné l’ouvrage en décembre 2019 sous un format concertant, l’Opéra de Monte-Carlo reprend cette fois sous format scénique La Damnation de Faust d’Hector Berlioz. Un titre cher à Jean-Louis Grinda qui en signe lui-même la mise en scène, et qui a valeur de symbole puisque cela sera l’ultime production scénique de ses quinze années passsées à la tête de la vénérable institution monégasque, Cecilia Bartoli reprenant le flambeau à partir de janvier prochain. C’est bien sûr également l’occasion d’honorer, pour cette troisième et dernière représentation du 19 novembre 2022, la fête nationale monégasque – et toute la famille Princière n’a bien évidemment pas manqué à l’appel de cet événement annuel très important dans la vie de la Principauté.

Pour ses adieux, Jean-Louis Grinda ne pouvait pas déroger à sa règle de respect à la lettre de la partition et du livret, en offrant une lecture à la fois claire et esthétique de l’ouvrage qui lui incombait de mettre en images. Avec son fidèle scénographe Rudy Sabounghi, il a imaginé un proscenium entourant la fosse sur lequel Faust vient traîner sa carcasse fatiguée et souffrante au début du spectacle (« Le vieil hiver »), et c’est de là aussi que Méphisto donnera au chef le signe de faire débuter la musique, en maître complet des horloges ! Les tableaux se succèdent ensuite en respectant les temps et lieux du livret, la fête dans les champs de la plaine hongroise prenant cependant une tournure tragique avec le passage systématique à la baïonnette de tous les villageois réunis pour leur joyeuse danse printanière par une soldatesque vêtue d’uniformes napoléoniens. La scène de la taverne à Leipzig est de son côté de très belle facture, avec ses tonneaux de vins empilés les uns sur les autres, magnifiée par les éclairages toujours savants de Laurent Castaingt. Plus naïve et romantique est la première apparition de Marguerite, dont la petite maison de bois est entrevue au travers d’un cercle entouré de roses projeté sur un tulle, une imagerie qui fait penser à certaines créations du couple de plasticiens Pierre & Gilles. La « pointe de modernité » que revendique toujours l’homme de théâtre monégasque intervient dans la célèbre « course à l’abyme », où les images vidéo de son fils Gabriel Grinda et de Julien Soulier prennent le relais, et montrent Faust et Méphisto dans un charriot en bois filant à toute vitesse dans les entrailles d’une mine jusqu’à tomber dans le cœur d’une lave en fusion de quelque volcan… effet garanti ! La scène finale est plus convenue et montre une cohorte de Séraphins (excellent Chœur d'Enfants de l'Académie de Musique Rainier III) brandissant des néons en forme de croix pour accompagner vers le ciel l’âme purifiée de Marguerite.

Avec Pene Pati en tête d’affiche (et pour sa prise de rôle), il était doublement impossible de rater cette soirée. Le ténor samoan est devenu incontournable dans la sphère lyrique, notamment dans le répertoire français où il excelle, comme on a déjà pu le constater avec son Roméo (de Gounod) en mars 2020 à l’Opéra national de Bordeaux, puis à l’Opéra-Comique l’année d’après. Et il illumine à nouveau la soirée de son timbre pur et solaire, de son aisance à gravir les aigus sans abuser de la voix de tête, en distillant quelques accents de fausset qui s’épanouissent dans le vaste espace de la Salle des Princes du Grimaldi Forum. Ses grands solos, « Merci doux crépuscule » et la fameuse Invocation à la Nature au IV, sont un modèle de chant éperdu, aux emphases contrôlées, à la diction châtiée. Pene Pati trouve ici le parfait équilibre entre legato poétique et puissance déclamatoire, tous les dilemmes du héros passant par ailleurs dans la voix. Une vraie performance !

Face à lui, la mezzo Aude Extrémo - qui avait explosé dans cette même ville il y a six ans dans le rôle de Vénus (Tannhauser) - offre à Marguerite l’une des voix françaises les plus sombres et opulentes du moment (aux côtés de Clémentine Margaine). Si l’impact et la séduction vocale sont indéniables, le timbre - aux limites du contralto - ne lui permet cependant pas de vraiment déployer le nuancier vocal qu’exige le rôle, ni de détailler les airs avec la clarté de diction qu’ils appellent, tandis que son personnage n’évolue guère non plus, psychologiquement parlant, mais c’est là bien plus la faute du metteur en scène qu’une défaillance de l’actrice, qui se montre néanmoins émouvante, notamment dans la fameuse Balade de Thulé. Diable extraverti, insinuant, sardonique, inquiétant, menaçant, Nicolas Courjal possède beaucoup de charisme, comme il l’a déjà prouvé dans toutes ses autres incarnations méphistophéliques, à l’instar de Robert le Diable de Meyerbeer l’an passé à l’Auditorium de Bordeaux. Enfin, dans la partie de Brander, l’excellent baryton français Frédéric Caton n’est pas en reste qui, en vrai chanteur et vrai comédien qu’il est, renouvelle entièrement ce rôle bref, souvent saccagé par des voix épuisées.

En fosse, le chef japonais Kazuki Yamada, directeur musical et artistique de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, souffle le chaud et le froid. Non content de laisser sa phalange et les chœurs (néanmoins excellemment préparés par Stefano Visconti) écraser parfois les solistes, il dirige ce soir en dents de scie, alternant moments de pure magie (« Marche hongroise », « D’amour l’ardente flamme ») et passages à vide, comme si l’architecture d’ensemble lui échappait. Son attention aux chanteurs est également à géométrie variable, comme en témoignent certains départs mal gérés, et surtout des décalages à répétition entre chœur et orchestre, et voix et instruments. Dommage, mais cela n’entame en rien l’enthousiasme d’un public trié sur le volet, mais venu en nombre, et qui a réservé notamment un accueil triomphal à Pene Pati, indiscutablement le héros de la soirée !

Emmanuel Andrieu

La Damnation de Faust d’Hector Berlioz à la Salle des Prince du Grimadi Forum de Monaco, le 19 novembre 2022 (et en direct sur Mezzo Live HD).

Crédit photographique © Alain Hanel

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