En tous points une réussite, hors la mise en scène signée par Damiano Michieletto et provenant du festival de Pesaro, commençons donc par là où le bât blesse pour mieux s’étendre ensuite sur les bonheurs procurés par cette Donna del lago de Gioacchino Rossini actuellement à l’affiche de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège. Prenant à rebrousse-poil le livret de Tottola, le metteur en scène italien imagine à son tour une autre histoire où Elena – dédoublée ici par une actrice âgée omniprésente – ressasse le fait que ce n’est en fait pas de Malcom qu’elle était amoureuse, mais bien du Roi Giacomo V. La scène finale ne nous raconte donc plus vraiment la joie des fiançailles entre Elena et Malcolm, mais nous propose au contraire l’image d’un couple fatigué et avachi dans un canapé éventré… Restent heureusement la magnificence de la scénographie du fidèle Paolo Fantin, un manoir abandonné dans lequel s’invite une nature envahissante qui reprend ses droits sur la pierre, et les éclairages non moins saisissants d’Alessandro Carletti…
Par chance, la partie musicale et orchestrale réserve de toutes autres satisfactions, à commencer par un Chœur et un Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège tout à fait remarquables, sous la baguette idéalement souple et nerveuse du chef italien Michele Mariotti. La musique avance en permanence, avec un souci exemplaire de l’équilibre entre les différents plans sonores, en particulier dans le périlleux final du I.
Soignée jusque dans les derniers rôles, la distribution réunie par Stefano Mazzonis Di Pralafera n'accuse aucune faiblesse. Dans le rôle-titre, la soprano géorgienne Salomé Jicia – superbe Semiramide à Nancy la saison passée – met en lumière un timbre plein, charnu et généreux à la fois, et un beau délié dans la vocalise. Son Elena souffre néanmoins – scéniquement parlant – de l’omniprésence de sa double actrice, qui capte visuellement l’attention à son détriment. Dès son apparition, le ténor russe Maxim Mironov (Giacomo V) conquiert le public par son registre aigu d’une déconcertante facilité et d’une souplesse totale dans le duo en triolets « Cielo, in qual estasi ». La basse baléare Simon Orfila, peu sollicitée dans le rôle de Douglas, a heureusement un air à grand effet et très vigoureux « Sul labbro tuo stranieri », qu’il délivre avec toutes les ressources d’un timbre riche et profond.
Véritables triomphateurs de la soirée, Sergey Romanovsky (Rodrigo) et Marianna Pizzolato (Malcolm) rendent superbement justice à leurs personnages respectifs. Le premier – entendu récemment dans le rôle-titre de Don Carlos à Lyon – domine sa redoutable tessiture avec une incroyable aisance. Les aigus sonnent francs et percutants, et les vocalises possèdent la précision et le mordant requis. Il reste maintenant au ténor russe à se montrer plus sensible au jeu des nuances et des clairs-obscurs, mais nous tenons avec lui un chanteur rossinien d'exception. Sa consœur italienne se hisse sur les mêmes sommets : timbre riche et séduisant, morbidezza de l’émission, virtuosité ébouriffante, aigus pleins et lumineux. On n’est pas prêt d’oublier les notes graves de son air « Elena ! oh tu, che chiamo ! », pas plus que les roulades tourbillonnantes de la cabalette qui suit « Oh ! Quante lacrime finor versai ».
Bref, le lecteur l’aura compris, nous avons assisté à une électrisante soirée de chant rossinien à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège !
La Donna del lago de Gioacchino Rossini à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, jusqu’au 15 mai 2018
Crédit photographique © Opéra Royal de Wallonie-Liège
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