Les orages d'été ne sont pas rares pendant le Festival de Bregenz – ils ont d'ailleurs souvent gâché la fête lors des sept premières représentations cette année -, sans généralement interrompre le spectacle, sauf déluge. Décors, costumes et installations électriques sont imperméabilisés, l'orchestre étant lui « au sec », dans la salle du Festspielhaus voisin. En cas d'intempéries, le public est prié de s'adapter comme il peut, dans une ambiance néanmoins toujours à la fois stoïque, émerveillée et bon enfant, très éloignée de celle d'un spectacle lyrique traditionnel. Dans ce contexte, le choix de l'opéra programmé s'avère délicat : il ne doit être ni trop long, ni trop peu connu (on escompte une fréquentation de 180.000 personnes chaque année), ni trop intimiste. La Flûte enchantée, titre retenu cet été – déjà présenté l'an dernier, selon la règle d'un ouvrage nouveau tous les deux ans – s'insère particulièrement bien dans le gigantesque espace de la « Scène flottante » de Bregenz.
C'est le directeur artistique de la manifestation autrichienne lui même, alias David Pountney, qui signe la mise en scène du chef d'œuvre de Mozart, aux cotés des fidèles Johan Engels (décors) et Marie-Jeanne Lecca (costumes). Ensemble, ils proposent un spectacle haut en couleurs, ingénieux et poétique, qui relègue au second plan les références philosophiques, métaphysiques et maçonniques de l'ouvrage. Le dispositif scénique est constitué de trois immenses dragons - tout droit sortis d'une BD de heroic fantasy – reliés par des passerelles sur lesquelles évoluent parfois les personnages, et en premier lieu des acrobates. Au centre trône une plateau tournant qui prend la forme d'une carapace de tortue, souvent hérissée de dizaines de gros brins d'herbes gonflables. Les Trois Dames y évoluent montées sur des ptérodactyles en métal qui représentent quelques dinosaures issus de l'époque jurassique. La plupart des entrées – très impressionnantes - se font directement depuis le lac, et l'on voit tour à tour arriver tous les protagonistes sur des embarcations et autres modules flottants, telles Pamina dans une cage de verre posée sur un diamant taillé (photo) ou Papagena dans un œuf d'autruche... Effet garanti !
Grâce à une technologie de pointe (800 haut-parleurs sont intégrés dans le décor), cette représentation en plein air donne presque la sensation de bénéficier de l'acoustique d'une salle fermée, et une simple superposition de voix amplifiées aux grandes lignes d'un orchestre capté en chambre sourde. L'équipe de chanteurs-acteurs réunis ce soir (il y a trois distributions en alternance) s'intégre parfaitement dans la production, à commencer par la soprano suédoise Gisela Stille qui campe une Pamina déterminée, avec une voix pure et bien conduite. Elle trouve dans l'excellent ténor autrichien Nikolaï Schukoff un Tamino au timbre plus corsé et viril que de coutume dans cet emploi.
Laura Claycomb chante les vocalises et les périlleux écarts de La Reine de la nuit avec justesse et aisance, bien qu'un peu mollement, par rapport à d'autres entendues dernièrement (comme Olga Pudova). Eike Wilm Schulte s'avère superbe d'intensité dans le rôle de l'Orateur, tandis que la basse autrichienne Albert Pesendorfer campe un Sarastro impressionnant de grandeur par la somptuosité du timbre et et la noblesse de la ligne. Enfin, trois Dames de qualité (Maraike Schröter, Sabrina Kögel et Bernadett Fodor), un Monostatos intelligemment nuancé (Martin Koch) et trois Génies – confiés à des voix de femmes (Dénise Beck, Veronika Vetter et Viola Zimmermann) - vocalement très assurés font également honneur à la distribution.
Quant aux Wiener Symphoniker, ils sont placés sous la direction de Patrick Summers dont la lecture de la partition ne manque pas d'intérêt. Adoptant des tempi vifs, le chef américain parvient à créer une tension dramatique - absente la veille à Munich, et l'avant-veille à Salzbourg - en totale adéquation avec la mise en scène de Pountney.
Signalons, en guise de conclusion, que c'était le dernier mandat de ce dernier à la tête du Festival, qui sera remplacé l'an prochain par Elisabeth Sobotka – directrice de l'Opéra de Graz – qui a choisi, comme titres suivants, Turandot en 2015, puis Carmen en 2017.
La Flûte enchantée au Festival de Bregenz, jusqu'au 25 août
Crédit photographique © Bregenzer Festspiele / Ralph Larmann
07 août 2014 | Imprimer
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