À 20 ans, en 1770, Antonio Salieri part à la conquête de Vienne avec un « opera buffa », Le donne letterate, soutenu par son maître Vittorio Gassmann. En 1775, il succède à celui-ci comme maître de chapelle de la cour d'Autriche. Sa réputation s’étend alors rapidement et il compose, en 1778, Europa riconosciuta pour l’inauguration du Teatro alla Scala de Milan (le 3 août), la même année que La Scuola de’ gelosi (L’école des jaloux) qu’il fait jouer au Teatro San Moisè de Venise (en décembre). En 1783, la troupe italienne conquiert Vienne avec ce même ouvrage, dans une version remaniée par rien moins que Lorenzo da Ponte, et c’est cette mouture qui a été proposée à Martina Franca – sous format semi-scénique et avec les jeunes élèves de l’Accademia del Belcanto « Rodolfo Celletti » 2022 –, comme quatrième titre lyrique du 48ème Festival Internazionale della Valle d’Itria.
La trame de La Scuola de' gelosi tourne, on s’en doute, autour du thème de la jalousie, aussi vive chez les nobles (le Comte Bandiera et son épouse), que chez les paysans enrichis (Don Blasio et Ernestina), ou leurs domestiques (Lumaca et Carlotta), en plus d’un personnage (Il Tenente) très proche de celui de Don Alfonso dans Cosi fan tutte, ouvrage postérieur qui s’inspirera du présent opéra. Les classes sociales s’entremêlent, la bourgeoisie ne dédaignant pas les attentions de l’aristocratie, mais, après maints quiproquos et travestissements, les protagonistes conviennent d’une chose : « Il n’existe pas de bonheur plus parfait que celui de deux époux unis par un véritable amour ». Comment ne pas être séduit par la verve de la partition, qui semble porter à leur sommet le charme et la vitalité de l’école napolitaine ? Les airs, pour la plupart, sont brefs, et relativement simples, mais les mélodies sont ravissantes, toujours adaptées aux situations. Les ensembles sont encore plus remarquables, dont les deux finales d’actes, très développés, se jouant des changements de rythme et d’humeur, et un quintette à l’acte II dont on apprécie la finesse musicale autant que la pertinence dramatique. Tout cela est digne d’un grand artiste, et l’on comprend le succès remporté par cette merveilleuse fantaisie vaudevillesque.
La distribution se montre épatante, même si parfois encore jeune et timide (issue de la promotion 2022 de l'Accademia del Belcanto « Rodolfo Celletti » 2022). Irina Bogdanova est une Comtesse Bandiera touchante, mais le registre suraigu s’avère quelque peu perçant, tandis qu’Omar Mancini (Comte Bandiera) lui donne la réplique avec un timbre moins immédiatement flatteur. Rocio Faus (Ernestina) fait preuve d’un tempérament de feu, victime de la jalousie sans fondement de son mari Don Blasio, solidement campé par Matteo Mancini, qui possède un baryton plein d’éclat. De leurs côtés, Fleurane Brockway offre une Carlotta pleine de ressources à la fois vocales et scéniques, tandis que Carmine Giordano (Lumaca) fait étalage d’une superbe voix de basse, et d’un jeu bondissant. Enfin, Joan Folqué (Il Tenenete) complète efficacement l’affiche.
Avec autant d’élégance que de compétence, la jeune cheffe italienne Danila Grassi (assistante de Fabio Luisi, directeur musical du Festival) dirige les jeunes musiciens du (tout proche) Conservatoire de musique « Nino Rota » de Monopoli (elle est elle-même originaire de la ville voisine d’Alberobello). Il convient de faire une mention pour le pianofortiste, Davide Rinaldi, qui soutient les récitatifs avec esprit et un rien d’impertinence. Dans l’écrin favorable du Teatro Verdi, l’équilibre fosse/plateau est parfait, ce dont tire profit la jeune équipe de chanteurs réunie pour l’occasion, qui n’est pas installée devant des pupitres mais évolue avec naturel (et un t-shirt indiquant le nom de leur personnage) dans les décors d'Il Xerse de Cavalli donné deux jours plus tôt dans ces mêmes lieux.
La Scuola de' gelosi d’Antonio Salieri au 48ème Festival della Valle d’Itria, le 27 juillet 2022
Crédit photographique © Clarissa Lapolla
La scuola de’ gelosi - Festival della Valle d'Itria Martina Franca (2022)
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