Pendant les travaux de rénovation du Théâtre Royal de La Monnaie - qui devraient durer jusqu'en mars -, les spectacles sont décentralisés dans divers lieux de Bruxelles (et de sa périphérie, comme les Halles de Schaerbeek). Pour la résurrection de La Vestale de Gaspare Spontini, confiée aux soins de l'homme de théâtre français Eric Lacascade, c'est le Cirque Royal qui a été retenu.
La légende de Julia qui laisse s’éteindre le feu sacré dans le temple de la déesse Vesta à Rome a hanté les compositeurs de la moitié du XVIIIe siècle jusqu’à la moitié du XIXe, comme en témoignent une Vestale composée par Gluck en 1755, jusqu’à celle écrite en 1840 par Mercadante, pour le San Carlo de Naples. En 1807, Spontini - installé à Paris depuis quatre ans après avoir tenté de s’imposer (en vain) en Italie avec des ouvrages considérés comme mineurs - rencontre le librettiste Etienne de Jouy avec lequel il entame une longue collaboration. Nommé compositeur particulier de la Chambre de S.M. L’Impératrice en 1805, il écrit d’abord Julie ou le pot de fleurs (monté à l’Opéra de Rennes il y a quelques années...), avant cette Vestale, qui le consacre comme l’une des plus importantes personnalités de la musique en Europe, et lui assure - avec Fernand Cortez, Agnes von Hohenstaufen et Olympie (qui sera donnée en fin de saison au Théâtre des Champs-Elysées) - une très grande renommée.
Trouver aujourd’hui une interprète capable de se mesurer au rôle si difficile de Julia (marqué par d'illustres devancières comme Maria Callas, qui interpréta l'héroïne dans une production restée légendaire, signée par Luchino Visconti pour La Scala de Milan en 1954) n'était pas chose évidente, et Peter de Caluwe a eu la main particulièrement heureuse en confiant ce rôle en or à la magnifique soprano Alexandra Deshorties, qui nous avait subjugués en avril dernier au Grand-Théâtre de Genève dans le rôle de Medea (Cherubini). Le moins que l’on puisse dire, c’est que la chanteuse canadienne affronte avec beaucoup d’aplomb les périls de ce rôle terriblement tendu, et que ses infinies qualités vocales y rivalisent à parts égales avec ses superbes talents d’actrice.
La mezzo française Sylvie Brunet-Grupposo – formidable Nourrice dans Ariane et Barbe-Bleue à l'Opéra National du Rhin en mai dernier – rivalise avec le rôle-titre dans les imprécations de la Grande Vestale (« L'amour est un monstre barbare »), partie qu'elle incarne avec un talent consommé. Non seulement la voix est magnifiquement timbrée, puissante et longue, mais elle fait également preuve de souplesse et d'aisance dans les passages mélodiquement plus tendus. Yann Beuron – qui nous a accordé un entretien à l'occasion de sa prestation bruxelloise – est idéal dans le rôle de Lucinius, par la conjonction d'une diction parfaite et d'une louable sûreté de projection, tandis que le jeune ténor Julien Dran prête à Cinna ses (très prometteuses) qualités vocales. Enfin, la basse française Jean Teitgen, dans le rôle du Grand Pontife, possède une présence et une autorité qui correspondent au personnage.
Le chef italien Alessandro De Marchi défend l'ouvrage avec une acuité et une justesse dignes d'éloges. Il parvient ainsi à restituer les mille facettes d'une partition héritière du théâtre tragique de Gluck, qui annonce le premier romantisme de Rossini et de Bellini, en même temps qu'elle dévoile l'esquisse du grand-opéra qui se cache derrière cette fresque majestueuse.
Nous serons moins prolixes sur le travail d’Eric Lascascade, dont La Vestale est sa première mise en scène lyrique. Car l’ancien directeur de la Comédie de Caen – grand spécialiste du théâtre de Tchekhov - ne semble guère avoir été inspiré par l’ouvrage, qu’il situe dans un temps et un espace indéterminés, avec des décors et des costumes « passe-partout ». Le principal reproche qu'on adressera à sa mise en scène est qu’elle tourne la plupart du temps à vide, avare d’idées, et qu’elle témoigne surtout d’une totale méconnaissance des conventions du genre. Nous n’avons pas été plus convaincu par sa direction d’acteurs qui - quand elle n’est pas maladroite ou statique - frise souvent le ridicule, comme ce moment où le chœur se met à courir dans tous les sens, de manière aussi ridicule que désordonnée.
En dépit des quelques réserves émises sur la proposition scénique, nous garderons un souvenir ému de cette soirée grâce à la puissance d’une partition enfin restituée à sa dignité d’origine. L’expérience valait d’être tentée, et bravo donc à La Monnaie d’avoir eu ce courage !
La Vestale de Gaspare Spontini au Cirque Royal de Bruxelles (octobre 2015)
30 octobre 2015 | Imprimer
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