A la différence de ses contemporains Arrigo Boito (Mefistofele), Amilcare Ponchielli (La Gioconda) ou Francesco Cilea (Adriana Lecouvreur), on ne peut pas dire qu'Alfredo Catalani soit connu du public, ni que ses ouvrages connaissent souvent les honneurs de l'affiche. Et si l'on peut comprendre que La Falce (1875), Elda (1880), Dejanice (1883), Edmea (1886) ou même Loreley (1890) ne soient plus que des noms, son sixième et dernier opus lyrique, La Wally (1892) – titre que le Grand-Théâtre de Genève a le courage de reprendre pour clôre sa saison –, mérite pourtant d'être interprété, en premier lieu pour les nombreux sortilèges symphoniques que recèle la partition. La Wally n'est cependant pas complètement inconnu, ne serait-ce que par l'air de la protagoniste « Ebben me ne andro lontana » (déjà composé par le compositeur en 1876 sous le titre Chanson groënlandaise sur un texte de Jules Verne !), gravé par toutes les cantatrices de renom, et devenu un véritable « tube » en France après le succès du film de Jean-Jacques Beinex, Diva. Entre les deux guerres, Catalani dut beaucoup à Toscanini qui, sensible à tout ce répertoire, aidera énormément la carrière de La Wally, commencée le 20 janvier 1892 à La Scala de Milan. Et son amour pour cette partition – qui nous conduit dans les paysages alpestres du Tyrol pour se conclure par une avalanche qui écrase le couple maudit de Wally et Hagenbach - poussera même le maestro à appeler sa fille du nom de son héroïne bien-aimée. Aux débuts des années cinquante, Renata Tebaldi prit la relève, sans grand succès, et l'ouvrage tomba ensuite dans un oubli quasi total. C'est dire si notre attente était grande...et c'est finalement la déception qui a été au rendez-vous.
Pour commnencer, on ne pensait plus voir - en 2014 - quelquechose d'aussi ringard et d'une telle platitude ! Rien ne manque au Tyrol de carton-pâte imaginé par le metteur en scène Cesare Lievi et son décorateur Ezio Toffolutti : grandes toiles peintes de montagnes, silhouettes d'arbres ou d'église découpées, culottes de peau typiques du Tyrol etc. Quant à la direction d'acteurs, elle s'avère par trop basique...quand elle n'est pas inexistante. Enfin, la scène finale de l'avalanche - clou (attendu) du spectacle - tombe complètement à plat, en se limitant à une simple planche enneigé sur laquelle l'héroïne se laisse gentiment glisser... On oublie vite, et ce n'est certes pas en reproposant les ouvrages de Catalani dans des conditions aussi désastreuses qu'on va lui rendre justice !
La résurrection d'un ouvrage aussi exigeant sur le plan vocal nécessite par ailleurs la constitution d'un plateau aguerri, avec en particulier une protagonniste capable de rendre justice, par la beauté de son timbre, à la partition de Catalani. La soprano espagnole Ainoha Arteta, sur ce plan, est une déception : voix fatiguée, stridente, à l'aigu parfois incertain, au médium tubé, de surcroît avare de nuances. « Ebben me ne andro lontana » ne constitue en rien, dès lors, le moment musicalement fort de la soirée. L'interprète a malgré tout l'intelligence de pallier ces difficultés par une déclamation passionnée – ses duos avec Hagenbach et Gellner au deuxième acte ne manquent pas d'impact -, au risque cependant de basculer dans les pires travers du vérisme. Son cri « Io lo vo morto » rappelle ainsi davantage la terre sicilienne que les montagnes du Tyrol.
De son côté, dans le rôle de Giuseppe Hagenbach, le ténor coréen Yonghoon Lee – handicappé par un timbre nasal – se montre uniquement soucieux de faire du son, sans se préoccuper de nuancer un chant monolithique et sans souplesse. Par chance, le baryton ukrainien Vitaliy Bilyy offre une toute autre satisfaction, avec une voix certes robuste, mais à l'émission nuancée. Sa compatriote Ivanna Lesyk-Sadivska s'avère très convaincante dans le rôle travesti de Walter, soucieuse de piani et de trilles, tandis que la basse roumaine Balint Szabo réussit son incarnation du vieux Stromminger, sévère, arrogant, inflexible. Une mention enfin pour la belle mezzo franco-marocaine Ahlima Mahmdi qui, dans le rôle d'Afra, gratifie l'auditoire de sa voix à la fois sombre et veloutée.
La musique de Catalani, à l'image du livret, est nettement marquée par la tradition romantique allemande. Tirant de la partition de nombreux effets dramatiques, notamment au début du quatrième acte, le chef italien Evelino Pido n'est malheureusement pas toujours bien suivi par l'Orchestre de la Suisse Romande, dont quelques approximations chez les cuivres et les cordes surprennent. Emporté par sa conception symphonique, il néglige de surcroît les chanteurs, d'où de (trop) nombreux décalages entre la scène et la fosse.
On a vu et entendu mieux au Grand-Théâtre...
La Wally au Grand-Théâtre de Genève, jusqu'au 28 juin 2014
Crédit photographique © Carole Parodi
26 juin 2014 | Imprimer
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