Les mises en scène d’opéra imaginées par des Sociétaires de la Comédie Française réussissent décidément bien à l’Opéra Royal de Wallonie, et après l’éclatant succès du Domino noir d’Auber (monté in loco la saison passée, et récompensé par le Grand Prix du Syndicat de la Critique), c’est au tour du Comte Ory de Gioacchino Rossini - dans la production conçue par Denis Podalydès pour l’Opéra-Comique il y a un an - de remporter un énorme triomphe dans la maison belge, à l’occasion des fêtes de fin d’année. Le spectacle avait été pourtant moyennement goûté (à sa création parisienne) par notre confrère Laurent Vilarem, qui trouvait qu’il « manquait d’un grain de folie ». A tire personnel, nous l’avons trouvé réjouissant et d’une grande fantaisie, et il faut plutôt être gré au célèbre homme de théâtre français d’avoir évité de trop en faire avec le livret passablement grivois d’Eugène Scribe, qui peut aisément (et comme c’est trop souvent le cas !) dégénérer en farce triviale, se prêtant aux outrances les plus grossières… Avec autant d’humour que de pertinence, Podalydès transpose l’action non à l’époque des Croisades mais à celle des guerres coloniales (celle de la conquête de l’Algérie, en l’occurrence, c’est-à-dire à l’époque même de la création de l’ouvrage, en 1828, Salle Le Peletier à Paris), dans de superbes décors conçus par l’actuel directeur du Théâtre Français, Eric Ruf, et des costumes signés par rien moins que… Christian Lacroix !
La réussite de la soirée est également à porter au crédit du jeune valencien Jordi Bernàcer - actuel chef « résident » de l’Opéra de San Francisco - qui conduit l’Orchestre Royal de l’Opéra de Wallonie avec une vitalité, une fermeté et une précision exemplaires. Les cordes notamment sont propres et précises dans les attaques, les bois et les cuivres (superbes cors !) tout aussi impeccables. Les tempi sont plutôt rapides, mais dépourvus d’une hâte qui aurait pu mettre en difficulté les chanteurs.
Dans le rôle-titre, le ténor sicilien Antonino Siragusa - si l’on met de côté son timbre nasal et son articulation problématique du français - est un Comte Ory de grande classe. Il surmonte avec une facilité déconcertante les difficultés de sa partie, déployant une virtuosité dans l’exécution des coloratures qui laisse le public pantois. Comme on pouvait s’y attendre, la soprano wallone Jodie Devos - Rosine mutine ici-même en 2015 - campe une Adèle de fière allure, avec des vocalises précises, une palette étendue de nuances et un réel charme scénique. L’on retrouve également avec plaisir la mezzo italienne Josè Maria Lo Monaco (splendide Adalgisa sur cette même scène en 2017, aux côtés de Patrizia Ciofi en Norma), dont la voix - dans le rôle d’Isolier - semble avoir encore gagné en ampleur. Sa grande sensibilité musicale, la chaleur de son timbre, sa justesse irréprochable et sa diction à l’avenant lui valent un incroyable triomphe personnel au moment des saluts. De son côté, le baryton-basse belge Laurent Kubla, Gouverneur au beau legato et au style accompli, confirme également la très bonne impression laissée par son Leporello in loco il y a deux ans. Alexise Yerna (Dame Ragonde) est une comédienne hors-pair (mais ses aigus continuent de froisser nos oreilles…), tandis qu’Enrico Marabelli (Raimbaud) fait montre d’une belle homogénéité de timbre et d’une évidente musicalité, mais manque néanmoins d’abattage dans l'impossible « chanson à boire » du II : « Ah, mes amis ! ». Enfin, le Chœur de l’Opéra Royal de Wallonie se montre parfait, aussi à l’aise en formation mixte que séparément, dans son incarnation savoureuse des dames de la Comtesse Adèle et des Chevaliers du Comte Ory...
Bref, nous avons eu du flair en choisissant Liège pour célébrer la Saint-Sylvestre !
Le Comte Ory de Gioacchino Rossini à l’Opéra Royal de Wallonie, jusqu’au 2 janvier 2019
Crédit photographique © Opéra Royal Wallonie-Liège
02 janvier 2019 | Imprimer
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