Moins de quinze jours après Naples (où ils étaient à l’affiche d’une Tosca semi-scénique au Teatro di San Carlo), c’est dans la Ville Eternelle que nous retrouvons le couple lyrique le plus glamour et médiatique du moment : la soprano russo-autrichienne Anna Netrebko et son fringant mari azéri Yusif Eyvazov. Car le Teatro dell’Opera de Rome, à l’instar du Teatro di San Carlo et de toutes les grandes manifestations estivo-lyriques de la péninsule, ne s’est pas avoué vaincu devant la Covid-19. Le théâtre a su rebondir pour proposer à son public (et à une maigre proportion de touristes) trois titres lyriques de grande qualité, en plus de ce récital qui affichait complet pour ses deux soirées (les 6 et 9 août). Pour des raisons de sécurité sanitaire, ce n’est pas aux habituels Terme di Caracalla mais au plus vaste Circo Massimo que le festival d’été a pris ses quartiers, et comme à Naples, tous les concerts étaient sonorisés, mais avec un rendu sonore plus équilibré ici (il faut dire aussi que nous étions mieux centrés…).
Titré, le spectacle veut être un « Omaggio a Roma » (hommage à Rome). Il est vrai que les deux tourtereaux se sont rencontrés ici, lors d’une production de Manon Lescaut, et que cette ville leur est naturellement très chère. Et puis deux des principaux titres défendus ce soir, Tosca et Cavalleria Rusticana, ont vu le jour dans la capitale italienne… Mais c’est avec le duo extrait de l’Otello de Verdi « Gia la notte densa » que le couple fait d’emblée chavirer les cœurs, d’autant plus facilement que cette fois, Yusif Eyvazov se montre étonnament sobre : nul effet appuyé, zéro cabotinage, point de sanglot hors-propos (comme dans la Tosca napolitaine). Et leur complicité amoureuse ne peut que faire merveille ici : on croit tout simplement à leurs effusions amoureuses. Et elles nous touchent d’autant plus qu’ils les susurrent ici avec de poignants accents... C’est seule qu'Anna Netrebko apparaît ensuite pour interpréter un air de l’un de ses rôles fétiches, celui d’Adriana Lecouvreur, le chef d’œuvre de Francesco Cilea. Son « Io son l’umile ancella » captive par l'attention particulière qu'elle accorde au texte, en parant son chant d'inflexions admirables, portées par son timbre généreux. Cilea toujours ensuite, avec la bouleversante aria « E la solita storia del pastore » extrait de L’Arlesiana. Avec quelle simplicité Yusif Eyvazov chante l’histoire du berger : que sa tristesse est émouvante, et comme ses pianissimi sont emplis de délicatesse. Puis ils réitèrent tous les « tubes » de Tosca (le duo du I, les célébrissimes « Vissi d’arte » et « E Lucevan le stelle »…), mais avec cette fois plus de sobriété pour ce qui concerne le ténor, et c’est rendre grâce à Giacomo Puccini.
On quitte alors l’Italie pour la patrie de la diva, et après une étourdissante ouverture de Rousslan et Ludmilla de Glinka (superbement dirigée par le chef italien Jader Bignamini, placé à la tête de l’Orchestra del Teatro dell’Opera di Roma), la Netrebko offre un « Chant à la lune » de Dvorak qui lui permet d’exhaler de superbes couleurs toutes lunaires, avec son grain sombre reconnaissable entre tous, et délivré sur une ligne vocale construite avec un art affirmé. Son mari ne touche pas moins dans « Mamma, quel vino generoso » extrait de Cavalleria Rusticana : il se montre un interprète sensible et nuancé du personnage de Turridu, dans sa déchirante détresse finale. Et c’est par un climax d’émotion qu’ils finissent leur programme, avec la scène finale d’Andrea Chénier (« Vicino a te »), qui fait office d’apothéose en terme de puissance vocale autant qu’émotionnelle. En bis, aux côtés de « Mio bambino caro » pour elle et « Nessun Dorma » pour lui, c’est un nouvel hommage à Rome qu’ils entonnent avec la chanson (que tout romain connaît) « Sous un manteau d'étoiles, resplendissante Rome m'apparaît ! ». Maîtres de la scène, leurs bis irradient d’entente et de joie… pour la plus grande et admirative nôtre !
« Omaggio a Roma » par Anna Netrebko et Yusif Eyvazov au Circo Massimo, les 6 et 9 août 2020
Crédit photographique © Yasuko Kageyama
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