C’est avec un Crépuscule des Dieux à tous égards réussi que s’achève - en apothéose - le Ring genevois. Commencé par un Or du Rhin illustratif, retrouvant avec bonheur les origines du mythe, le travail de Dieter Dorn pour cette dernière journée s’inscrit dans le droit fil des précédentes, simple et lisible. Jürgen Rose, son fidèle scénographe, y adjoint un nouveau élément de décor, celui du palais des Gibichungs, grand parallélépipède d’un blanc clinique et aveuglant. A sa gauche gisent les têtes des dieux qui ne se résument déjà plus qu’à de simples artefacts. C’est dans ce même rectangle que l’on dressera plus tard le bûcher final, le blanc immaculé laissant la place au rouge vif, avant que le bleu du Rhin ne lui prête sa couleur et submerge toute la structure qui disparaît alors inexorablement dans les profondeurs du sous-sol. Au même moment, des marionnettes représentant les dieux tombent lentement des cintres pour disparaître également dans les flots purificateurs. Le plateau est à nouveau nu, comme dans la scène initiale de L’Or du Rhin, et une nouvelle histoire dans un monde nouveau peut alors s’écrire…
La distribution n’appelle (quasi) aucun reproche. Splendide Siegfried, tout auréolé de son succès de l’avant-veille dans le titre éponyme, Michael Weinius impressionne à nouveau autant par la vaillance du timbre que par l’impétuosité - mais aussi le raffinement - du chant. Rares sont les interprètes qui, comme il le fait ce soir, parviennent à négocier les difficultés du deuxième acte sans esquiver une seule note aigüe. Accueillie par une bordée de hourrahs aux saluts, Petra Lang incarne une Brünnhilde qui non seulement s’offre le luxe d’aigus claironnants tout au long du spectacle, mais parvient encore à tenir sur le fil du souffle l’émouvante évocation de son amour pour le héros infidèle, juste avant une scène d’immolation qui fait forte impression. Nouvelle venue dans ce Ring, la mezzo sud-africaine Michelle Breedt - superbe Brangäne à l’Opéra national du Rhin en 2015 - est une Waltraute bouleversante tant l’émission est expressive à chaque instant ; son évocation de la fin du dieu suprême fait passer le frisson, car elle dose si subtilement son chant que le pouvoir d’évocation s’en trouve admirablement renforcé. Tom Fox retrouve son Alberich incroyable de crédibilité scénique et idéalement noir et grinçant, tandis que la basse étasunienne Jeremy Milner campe un Hagen à la fois trop clair de voix et trop séduisant de physique pour rendre justice à un des personnages parmi les plus maléfiques du répertoire lyrique. Freia dans le Prologue, la soprano suédoise Agneta Eichenholz campe une Gutrune d’un beau rayonnement, nullement falote, tandis que la baryton britannique Mark Stone incarne un Gunther plus altier que veule, à la voix solide et bien projetée. Enfin, le trio de Nornes (Claudia Huckle, Roswitha Christina Müller & Karen Foster) est parfait et, tout aussi homogène, celui des Filles du Rhin (Polina Pastirchak, Carine Séchaye & Ahlima Mahmdi).
Le chef allemand Georg Fritzsch prend, dans cette troisième journée, la musique de Wagner à bras-le-corps, en particulier dans le deuxième acte, où il déchaîne les forces du destin avec une énergie toujours maîtrisée. Si la dernière scène du I est très noire et très dramatique, le tableau des Nornes baigne dans une pénombre crépusculaire, tandis que celui du Rhin nous plonge dans une fraîcheur pleine de clarté. On mettra enfin à son crédit de ne jamais alourdir sa baguette pour atteindre un héroïsme trop appuyé : dans la célèbre Marche funèbre et la scène finale, la grandeur ne nuit jamais à la netteté des lignes et des plans sonores. Bref, depuis un Or du Rhin assez statique, on a parcouru un beau chemin !
Le Crépuscule des dieux de Richard Wagner au Grand-Théâtre de Genève, le 10 mars 2019
Crédit photographique © Carole Parodi
12 mars 2019 | Imprimer
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