C’est à l’Orangerie du Palais de Schönbrunn qu’a eu lieu, le 7 février 1786, la création du petit opéra de W. A. Mozart en un acte, Le Directeur de théâtre (Der Schauspieldirektor). L’occasion de ce divertissement impérial était la visite à Vienne du Gouverneur Général des Pays-Bas autrichiens. Ce Directeur de théâtre est un véritable opéra de troupe, voire « familial », écrit sur mesure par le compositeur pour des interprètes qu’il connaissait fort bien. Deux sopranos – « Mme Cœur » (Herz), rôle tenu par la belle-sœur de Mozart, Aloysia Lange-Weber, et « Mlle Timbre d’argent » (Silberklang), Catarina Cavalieri, la première Konstanze – incarnent les divas rivales, tandis que le ténor (Adamberger, créateur de Belmonte) s’appelle « Chant d’oiseau » (Vogelsang), et la basse-bouffe… Buff ! Six comédiens – parmi lesquels Stéphanie et sa femme, l’épouse d’Adam-Berger et Joseph lange, le mari d’Aloysia – jouent les rôles parlés : le directeur de théâtre, la mère agitée de la prima donna, une tragédienne, une actrice protégée par un banquier etc. Tout ce petit monde intrigue et se querelle, dans des dialogues d’une grande drôlerie. L’opéra de Mozart ouvrait la soirée qui se poursuivait avec un petit opéra d'Antonio Salieri, Prima la musica, poi le parole. Deux mois plus tard au Burgtheather de Vienne, avait lieu la création des Noces de Figaro, et la proximité chronologique de la petite comédie en un acte sur le livret de Johann Gottlieb Stephanie et du grand opéra sur un livret de Lorenzo Da Ponte a joué en défaveur de la petite œuvre.
Confiée aux trublions que sont Fabrice Murgia (le directeur du Théâtre National Wallonie-Bruxelles) et Michael de Cock (le directeur du KVS, Théâtre royal flamand de Bruxelles), la mise en scène s’avère aussi drôle que décalée, et surfe sur l’actualité en intègrant évidemment la plus brûlante d’entre elle, la Covid. Le livret a ainsi été entièrement retravaillé par les deux hommes sous le prisme de la situation sanitaire, mais aussi politico-socialo-culturelle belge. Cela donne des échanges savoureux (sur la situation précaire des artistes, l’instabilité politique du pays, etc.) entre les trois principaux protagonistes incarnés ici par Achille Ridolfi, Mieke de Groote et Dietrich Henschel (photo).Tous s’expriment tour à tour en français, néerlandais ou en allemand, et évoluent dans tous les recoins du Théâtre de La Monnaie, des loges à la salle, du parvis au Foyer, dans lequel Peter de Caluwe fait une courte apparition aux côtés du duo de régisseurs. Une des principales idées est aussi d’avoir substitué la partie de Mme Krone dans le livret de Stephanie par un incroyable couple de street-dancer (Nadine Baboy et Hervé Loka Sombo), dont les déhanchements syncopés viennent remplacer les querelles et atermoiements de la diva.
La musique se voit ainsi reléguée essentiellement à la fin du spectacle, mais se voit aussi étoffée par quelques rajouts mozartiens, tels un extrait du final de la Symphonie n° 39, l’Ouverture des Nozze di Figaro, un extrait de La Flûte enchantée ou encore la très acrobatique aria Vorrei spiegarvi, oh Dio ! À la tête de l’Orchestre Symphonique de La Monnaie, son chef titulaire Alain Altinoglu donne le chic voulu à ce Mozart peu connu. Il convient de souligner tout particulièrement la qualité des violons et des alti, d’une cohérence et d’une précision exemplaires. À son habitude, le chef français se montre vif et nerveux, mais sans aucune raideur, accompagnant par ailleurs les chanteurs avec efficacité.
Et ces derniers sont loin de démériter. Les deux rôles de sopranos, destinés à des virtuoses exceptionnelles comme nous l’avons déjà souligné, sont ici assumés avec intelligence et probité. La néerlandaise Lenneke Ruiten chante avec aplomb, n’escamotant aucun suraigu, contre-Fa compris, face à sa consœur slovaque Simona Saturova toute aussi habile technicienne, même si certains aigus apparaissent quelque peu acidulés, voire stridents. Enfin, le ténor belge Yves Saelens déploie le beau timbre et le superbe phrasé dont on le sait coutumier, tandis que le baryton allemand Dietrich Henschel, qui n’intervient que dans le quatuor final, ne fait qu’une bouchée du bref rôle de Buff.
Der Schauspieldirektor de W. A. Mozart en streaming sur le site de La Monnaie de Bruxelles, jusqu’au 26 février 2021.
Crédit photographique © Hugo Segers
26 février 2021 | Imprimer
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