Le Don Carlo de Charles Roubaud : après Bordeaux... Marseille !

Xl_doncarlo © Christian Dresse

C’est avec Don Carlo de Giuseppe Verdi que se termine – en fanfare – la saison de l’Opéra de Marseille, dans une production de Charles Roubaud, dont nous avions dit tout le bien que nous en pensions (hors la faiblesse de la direction d’acteurs) lors de sa création bordelaise l’an passé. Mais à contrario de Bordeaux, où la configuration des lieux contraignait le chœur, ce dernier trouve bien mieux à se déployer ici (et nous louerons au passage sa formidable prestation !).

A tout seigneur tout honneur, nous nous pencherons en premier lieu sur la performance du québécois Jean-François Lapointe : la beauté de l’émission, la noblesse du timbre, le legato scrupuleux et l’exemplaire conduite du souffle du baryton émerveillent dans le rôle du Marquis de Posa, dont il traduit, malgré un jeu réduit à sa plus simple expression, toute l’élégance aristocratique et l’inébranlable foi dans ses idéaux de liberté et de progrès. Il ne faudra pas, en revanche, rechercher chez le ténor Teodor Ilincai une quelconque incarnation de l’Infant névrosé, torturé, en proie au doute et au remords. Avec un comportement scénique plutôt négligent, le roumain se contente de chanter, mais avec une voix tellement saine, franche et sonore qu’il offre des moments électrisants, comme dans le trio Carlos-Eboli-Posa. Si la soprano d’origine canarienne Yolanda Auyanet donne l’impression d’économiser ses ressources en début de représentation, c’est certainement pour affronter le « Giustizia ! Giustizia ! » du IV et le « Tu che le vanita » du V dans les conditions les plus favorables : le timbre est chaud et l’instrument se libère sans problème dans le haut-médium vers un aigu brillant dans la nuance forte et superbement filé dans le piano.

Moult fois entendue dans le rôle aux quatre coins de l’Europe, Sonia Ganassi continue d’impressionner dans le rôle d’Eboli, en s’y investissant toujours autant corps et âme, avec sa voix puissante, des vocalises précises dans la fameuse « chanson du voile », et des aigus tranchants dans le « O don fatale », qui lui valent des vivats nourris. Très attendue pour cette prise de rôle, la basse française Nicolas Courjal – applaudi dernièrement sur cette même scène dans Boris Godounov (rôle de Pimène) – convainc en Philippe II : malgré sa voix sonore et robuste, le chanteur sait donner au roi tragique une lassitude humble dans le superbe air « Ella giammai m’amo ». Déception, en revanche, pour le Grand Inquisiteur de la basse polonaise Wojtek Smilek qui manque autant de grandeur que de caractère, et qui ne parvient pas à rendre la dimension inhumaine de ce protagoniste. L'on remarque ainsi mieux les seconds plans, comme la Voix céleste d'Anaïs Constans, le Moine de Patrick Bolleire ou encore le Tebaldo de Carine Séchaye.

En fosse, Lawrence Foster offre une lecture du chef d’œuvre de Verdi davantage tourné vers l’introspection que le spectaculaire, et comme toujours soucieuse de mettre en exergue des détails instrumentaux passés inaperçus jusque-là. Intimiste, voire crépusculaire, ce Don Carlo n’en possède pas moins une évidente puissance théâtrale.

Emmanuel Andrieu

Don Carlo de Giuseppe Verdi à l’Opéra de Marseille (juin 2017)

Crédit photographique © Christian Dresse

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