Le Donizetti Opera Festival redonne sa chance à Marino Faliero

Xl_j5mw8new © Gianfranco Rota

Aux côtés du rare Belisario (1836), donné en version de concert, le Donizetti Opera Festival redonne également sa chance au non moins rare Marino Faliero (1835), au moyen de la Donizetti WEB TV, et ce dernier titre bénéficie d’une mise en scène conçue par le célèbre collectif italien Ricci/Forte. De toute évidence, la manifestation bergamasque a choisi cette année d’explorer une période particulièrement significative de la vie de Gaetano Donizetti, celle des années 1835-1836 pendant lesquelles le maître de Bergame acquiert enfin son autonomie dans le panorama du belcanto romantique, son chef d’œuvre Lucia di Lammermoor étant  également créé en 1835. Tant sur le plan stylistique que dramaturgique, Marino Faliero offre un témoignage particulièrement éloquent de cette évolution. Créé à Paris le 12 mars 1835 au Théâtre des Italiens avec un quatuor de légende (Giulia Grisi, Giovanni Battista Rubini, Antonio Tamburini et Luigi Lablache), l’ouvrage offre une intrigue située à Venise : épouse du doge Faliero, Elena a une liaison avec son neveu Fernando, que Steno (le chef des patriciens, qui convoite Elena) fait éclater en plein jour. Jugeant trop légère la punition infligée au dénonciateur par le Conseil, Faliero fomente une rébellion du peuple, avec le concours du chef des plébéiens Israele Bertucci ; découvert, il est condamné à mort. Avant l’exécution, Elena avoue sa faute et obtient le pardon de son époux.


Michele Pertusi - Marino Faliero, Festival Donizetti 2020

Mais de quel Marino Faliero, parlons-nous ici ? L’interrogation n’a rien d’anecdotique tant la partition, selon les habitudes de l’époque, a subi de modifications dans son histoire entre coupures, airs de substitutions et autres réaménagements. Telle que nous l’entendons ici, l’œuvre oppose un premier acte d’une structure assez lente et artificielle (où les références à Gioacchino Rossini, directeur du Théâtre des Italiens en 1835, ressortent de manière flagrante malgré des scènes d’une expressivité intense comme le duo entre Israele et Faliero), à des actes II et III nettement plus efficaces et précis. Le drame prend ainsi progressivement son envol, révélant des moments extraordinaires. On pense par exemple au sinistre raccourci de la conjuration entonné par le chœur (« Siam figli della notte »), interrompu par la découverte du cadavre de Fernando, musicalement illuminé par les violents éclairs d’un orage ; ou la bouleversante confession finale d’Elena qui, en échappant aux conventions de la grande aria finale, annonce par sa simplicité et sa concision les solutions qui seront adoptées par Giuseppe Verdi un peu plus tard.

Si Donizetti pouvait compter sur les quatre meilleurs chanteurs du monde de l’époque, l’équipe vocale réunie par Francesco Micheli, l’heureux directeur du Donizetti Opera Festival, ne suscite pas toujours un même engouement. La production a payé de malchance en perdant coup sur coup d'abord la jeune basse italienne Alex Esposito dans le rôle-titre (remplacé par le vétéran Michele Pertusi), puis plus encore l’extraordinaire ténor mexicain Javier Camarena, relayé par son collègue italo-américain Michele Angelini dans le rôle de Fernando. Le jeune chanteur est annoncé malade, et de fait les problèmes techniques ne cesseront de s’accumuler au cours de la soirée. Mais comment lui en vouloir puisqu’il la sauve, et que par ailleurs son timbre gorgé de soleil est un baume pour les oreilles… du moins quand il arrive à chanter juste ! Le cas de Michele Pertusi est différent. Lui aussi possède une voix de toute beauté, coulée dans le bronze mais le registre aigu s’effiloche parfois. En revanche, l’acteur reste immense et il parvient à traduire avec beaucoup d’intelligence et de musicalité les affres de l’homme de pouvoir miné par un conflit d’ordre privé et politique.


Francesca Dotto - Marino Faliero, Festival Donizetti 2020

Plus marginale en apparence puisqu’elle a perdu sa position prééminente de prima donna, le personnage d’Elena compense cet effacement dramaturgique par une intensité musicale irrésistible. L’art du chant de la soprano italienne Francesca Dotto, comme son très bon contrôle de l’émission font merveille, particulièrement dans la confession finale, révélant à quel point Donizetti a su renouveler la tradition de la colorature pour la propulser dans une dimension plus élégiaque. Enfin, Christian Federici joue avec beaucoup d’efficacité au traître de mélodrame en Steno, tandis que l’excellent baryton roumain Bogdan Baciu offre à Israele Bertucci des accents appropriés, avec une voix sonore, parfaitement timbrée et à l’élégant phrasé.

Las, la mise en scène de Stefano Ricci passionne encore moins. Evidée de tous ses sièges du parterre (photo), la magnifique salle du Teatro Donizetti sert de cadre à une scénographie de Marco Rossi censée évoquer les canaux de Venise, symbolisés par un amas d’escaliers et de passerelles métalliques qui épuisent notre patience plus vite que les protagonistes eux-mêmes, contraints de les monter et descendre sans cesse. Une tâche heureusement plus dévolue encore à une cohorte de comédiens et comédiennes qui s’agitent la plupart du temps en vain (en général pour faire des exercices physiques ou entrer en convulsion...), dans l’unique but de « remplir » l’action scénique – il est vrai assez pauvre dans le livret d’Emanuele Bidera et Agostino Ruffini, d’après un drame de Lord Byron.

La réussite de la soirée, c’est dans la fosse qu’il faudra aller la chercher, grâce à l'idéale baguette du directeur musical du festival, le chef italien Riccardo Frizza. Il dirige ici face à la salle pour être mieux suivi par les chanteurs, le pupitre des cordes lui faisant face tandis que tous les autres instrumentistes de l’Orchestre Donizetti sont placés dans son dos. En plus de tenir les chanteurs à bout de bras (surtout le ténor), Riccardo Frizza obtient surtout un extraordinaire équilibre entre la solennité du récit musical et les veines dramatiques qui l'irriguent, à la tête d’une phalange de bout en bout admirable de cohésion, de transparence et d'incisivité, tandis que le Chœur Donizetti se montre lui-aussi plus qu’impeccable.

Malgré la mise en scène, on regrette amèrement de n’avoir pu y être physiquement !

Emmanuel Andrieu

Marino Faliero de Gaetano Donizetti au Donizetti Opera Festival de Bergame, disponible en replay sur la Donizetti Web TV (chaîne payante)

Crédit photographique © Gianfranco Rota

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