La 44e édition du Festival della Valle d’Itria – dont le principal des manifestations a lieu dans la superbe cour du Palazzo ducale de Martina Franca – semble avoir été placé sous le signe de la jeunesse : œuvres de jeunesse, jeunesse des interprètes. Choix bénéfique car s’il ne garantit pas toujours le plein aboutissement, au moins garde-t-il de la routine et c’est ce que l’on peut souhaiter de mieux à un festival dont la vocation reste la (re)découverte de compositeurs et d’opéras négligés.
Fidèle à cet engagement, Martina Franca proposait cette année de réhabiliter le Giuletta e Romeo de Nicolo Vaccai, ainsi qu’une mouture « napolitaine » du Rinaldo de Haendel (nous y reviendrons). L’ouvrage de Vaccai (très connu pour sa célèbre méthode de chant encore largement utilisée aujourd’hui) a été créé au Teatro della Canobianna de Milan en octobre 1825, sur un livret de Felice Romani, seulement cinq ans avant que le même Romani n’en propose une nouvelle mouture à Vincenzo Bellini, qui donnera les fameux Capuleti ed i Montecchi, et qui poussera petit à petit vers la sortie l’œuvre de Vaccai. Même si, grâce à la grande Maria Malibran, le final de Vaccai fut quelque temps substitué à celui de Bellini (elle le trouvait plus beau...), cette tradition finit par s'éteindre et l'on réintégra le final original de Bellini. L’intérêt de l’ouvrage repose avant tout sur le fait qu’avec cette œuvre, Vaccai propose un nouveau langage musical qui rompt avec la tradition rossinienne, basée sur la virtuosité, pour se rapprocher de l’école de Naples (celle des Zingarelli, Cimarosa et autre Paisiello), basée sur la simplicité de la mélodie.
Comme toujours avec Albert Triola, directeur artistique de la manifestation apulienne, la distribution vocale a été choisie avec soin, hors le personnage de Tebaldo, incarné ici par le baryton serbe Vasa Stajkic qui non content de chanter faux joue en plus très mal. Belle découverte, en revanche, que la soprano espagnole Leonor Bonilla (Giuletta), avec son timbre perlé, son intonation très sûre (quoiqu’un peu confidentielle) et son interprétation sensible : très probablement un nouveau talent en pleine éclosion. Le Romeo de la mezzo calabraise Raffaella Lupinacci lui donne une réplique impeccable, avec une tessiture égale sur toute la longueur, dont notamment de magnifique graves, une science infaillible de la cantilène belcantiste (superbes « Se Romeo t’uccise un figlio » et « Ah ! se tu dormi, svegliati », les deux principales arie de la partition), et dont le chant dégage une émotion prégnante. Les timbres des deux cantatrices se marient par ailleurs extrêmement bien, mais elles partagent aussi hélas un léger manque de puissance. Capellio de prestance, le ténor italien Leonardo Cortellazzi – très apprécié en Don Ottavio (Don Giovanni) à l’Opéra Royal de Wallonie en 2016 – séduit dès son entrée en scène et ne cesse plus d’être parfait, tandis que la voix puissante du baryton chilien Christian Senn habite sans peine l’espace de la cour du Palazzo Ducale. Enfin, Paoletta Marrocu est un luxe dans le rôle d’Adele, la mère de Giuletta, et sa prestation vocale – ainsi que sa forte présence scénique – font regretter qu’elle soit désormais rare à l’affiche des théâtres internationaux.
Quant à la mise en scène, confiée à Cecilia Ligorio, elle éclaire efficacement le livret d’un ouvrage qui s’avère assez statique dans sa dramaturgie. La femme de théâtre italienne sauve donc les meubles, avec une mise en espace respectueuse de l’œuvre... mais néanmoins peu inventive. La scénographie signée par Alessia Colosso (et les costumes conçus par Giuseppe Palella) joue surtout sur les couleurs : le noir (celui du deuil des Capuleti qui pleurent la mort de leur fils…) et le blanc (de Romeo) opposant les deux familles. C’est surtout la belle mise en lumière de Luciano Novelli, plus que le caractère anecdotique de la chambre de Giuletta percée dans le rempart du château ou le tombeau monumental de la scène finale, qui retient l'attention et qui sert de véritable scénographie…
Enfin, placés sous la baguette élégante du chef italien Sesto Quatrini, l’Orchestre de l’Accademia Teatro alla scala et le Chœur du Théâtre municipal de Piacenza répandent un tapis gracieux sous les pieds des différents protagonistes, et notamment des deux héros qui sont les triomphateurs mérités de la soirée.
Giuletta e Romeo de Nicola Vaccai au Festival de Martina Franca, le 31 juillet 2018
Crédit photographique © Paolo Conserva
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