Le Festival de Martina Franca ressuscite Margherita d'Anjou de Giacomo Meyerbeer

Xl_margherita © Paolo Conserva

Aux côtés d’Orlando Furioso de Vivaldi (que nous avons vu) et des Donne Vendicate de Niccolo Piccinni (compositeur né dans la ville toute proche de Bari), le troisième titre lyrique retenu pour cette 43e édition du festival de Martina Franca était une œuvre de jeunesse de Giacomo Meyerbeer : Margherita d’Anjou. Cet ouvrage est le premier des six opéras qu’il composera en Italie ; il lui ouvre les portes de La Scala où il est représenté le 14 novembre 1820. L’importance accordée dans l’œuvre à une basse-bouffe, le personnage de Michele, mais aussi à une rivalité entre basses, et le lieto fine, inscrit d’emblée Margherita d’Anjou dans le genre du Melodramma en deux actes dans la lignée des opéras semi-seria auxquels appartient La Gazza ladra de Rossini par exemple. L’œuvre marque cependant - et avant tout - une étape importante dans le traitement opératique d’un sujet historique, celui du livret se déroulant pendant la Guerre des Deux Roses qui opposa, dans l’Angleterre du XVe siècle, les familles d’York et de Lancastre dans la conquête du pouvoir. Veuve du Roi Henry VI, Margherita doit lutter pour maintenir son fils sur le trône : luttes pour le pouvoir et amour maternel sont ainsi le substrat de l’action théâtrale. Le texte de Felice Romani, poète-librettiste omniprésent de Rossini à Bellini et Donizetti, s’inspire à ce titre d’un mélodrame français représenté à Paris en 1810. Meyerbeer est ici encore largement tributaire du code rossinien dont il adopte les schémas, tant pour la coupe des airs et de ses duos que pour celle de l’introduction et des finales concertants, tout en cherchant à en élargir les dimensions. Des quatorze numéros de la partition se détachent ainsi l’étonnant trio de basses, un sextuor annonciateur du théâtre donizettien, et deux grands airs pour le ténor et la soprano, dont un en forme de duo concertant avec violon pour cette dernière, petit bijou plein de fraîcheur.

Partant du principe que le Melodramma de l’Ottocento est trop compliqué pour le spectateur d’aujourd’hui, le metteur en scène sud-africain d’origine italienne Alessandro Talevi a transposé l’action dans le cadre de la Fashion Week de Londres, Margherita devenant ici une reine de la mode et Lavarenne une star de la Pop-Rock… Si le texte entre souvent en contradiction avec ce qui est montré, et si l’aspect militaire de l’ouvrage est complètement occulté, reconnaissons que l’aspect giocoso du livret (à travers notamment le personnage central de Michele, ici présentateur d’une émission de téléréalité) est de son côté très bien rendu. L’inventivité, l’audace et l’énergie bouillonnante qu’il insuffle à chaque scène finissent ainsi par emporter l’adhésion. La distribution vocale n’appelle, quant à elle, aucun reproche. Très à l’aise dans le chant gracieux et virtuose de l’air d’entrée de Margherita, la jeune soprano italienne Giulia De Blasis confirme au fur et à mesure de la représentation qu’elle est un « talent à suivre ». Le timbre est beau, le style sûr, la technique huilée, et l’aigu ne cesse de gagner en rondeur et en éclat tout au long de la soirée, complétant le portrait d’une artiste vraiment attachante. Le russe Anton Rositskiy, malgré un italien encore perfectible, comme nous l’avions déjà souligné dans Il Turco toulousain l’hiver dernier, n’en est pas moins à sa place en Duc de Lavarenne, rôle redoutable avec un formidable morceau de bravoure au premier acte : « E riposta in questi accenti ». Le jeune ténor s’y montre éblouissant d’aisance, avec une émission franche et arrogante, un aigu percutant (montant jusqu’au contre-Fa !), une virtuosité affirmée et un sens stylistique extrêmement sûr. Véritable découverte, pour nous du moins, la basse bouffe italienne Marco Filippo Romano (Michele Gamautte), formidable comédien, bondissant et caméléon, et chanteur à la fois scrupuleux et expressif, au chant sillabato parfaitement maîtrisé. Positivement remarquée dans Béatriice et Bénédict au Théâtre au Capitole la saison passée, la mezzo italienne Gaia Petrone s’affirme en Emma comme un authentique contralto rossinien, faisant valoir dans le Rondo final (étonnamment confié à ce personnage secondaire plutôt qu’au rôle-titre…) toutes les ressources d’une voix superbement projetée. Enfin, les deux autres basses Bastian Thomas Kohl (Duc de Gloucester) et Laurence Meikle (Carlo Belmonte) se montrent plus en retraits que leurs partenaires.

A la tête de l’Orchestra Internazionale d’Italia et du Chœur du Théâtre de Piacenza, le formidable chef italien Fabio Luisi – directeur musical de la manifestation apulienne – s’affirme comme un très grand maestro concertatore, donnant à l’œuvre l’unité qui peut sembler lui manquer au plan dramatique, et conduisant au triomphe ses solistes.

Emmanuel Andrieu

Margherita d’Anjou de Giacomo Meyerbeer au Festival de Martina Franca, les 2 & 4 août 2017

Crédit photographique © Paolo Conserva
 

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