En plus de Gaetano Donizetti avec ses deux titres que sont La Fille du régiment et L’Elixir d’amour (nous avons rendu compte du second), c’est à un autre fameux compositeur bergamasque que le Donizetti Festival de Bergame a tenu à rendre hommage, Giovanni Simone Mayr (de son vrai nom Johann Simon Mayr), avec son ouvrage le plus célèbre : Medea in Corinto. Né en Bavière en 1763 mais installé en Italie dès 1767, le compositeur italo-germanique aura une carrière jalonnée de triomphes. Musicien fécond (avec plus de 60 ouvrages lyriques à son actif !), il fait ses débuts à La Fenice de Venise en 1794 avec sa Saffo, avant de s’installer à Bergame en 1803 où il devint Maître de chapelle à la cathédrale Santa Maria Maggiore (il y est d’ailleurs inhumé). En 1806, il y rencontre un certain Donizetti qui deviendra son élève jusqu’en 1815. Et c’est en 1813 qu’il crée sa Medea in Corinto au Teatro di San Carlo de Naples avec Isabella Colbran en Medea - mais c’est la révision de 1821, pour ce même Teatro Sociale de Bergame (sis dans la ville haute) où ont lieu les représentations de l'ouvrage - qui a été ici retenu. L’ouvrage affiche un indéniable équilibre entre une musique encore fondamentalement ancrée dans le XVIIIe siècle et un traitement du mythe déjà romantique. Felice Romani, le librettiste qui travaillera plus tard avec Bellini, Donizetti et le jeune Verdi, est en partie l’artisan de cette évolution. Alors que la plus célèbre Médée (1797) de Luigi Cherubini était une grande héroïne tragique dans la tradition hellénique, celle de Mayr est une femme blessée, sœur aînée des « reines Tudor » de Donizetti.
C’est en tout cas bien ainsi que la voit le metteur en scène italien Francesco Micheli – également directeur artistique de la manifestation lombarde après avoir longtemps dirigé le Festival de Macerata – qui s’est donc auto-confié la partie scénique avec le concours d’Edoardo Sanchi pour la scénographie qui tient une place prépondérante ici. Ensemble, ils transposent l’action dans un appartement petit-bourgeois des années 70, dont les principales pièces (chambre, cuisine et salon) descendent tour à tour des cintres en fonction des besoins de l’action. Impossible de ne pas penser au film de Bergmann « Scènes de la vie conjugale » à voir ce couple Medea / Jason se déchirer – ici sous les yeux de leurs deux enfants omniprésents, et dont le comportement passe de joueur à bagarreur au fur et à mesure que le drame entre les deux parents se tend. Obnibulée par l’infidélité de son mari, elle l’imagine dans les bras de son amante, et ses suppositions se réalisent sous nos yeux dans le coin chambre tandis qu’elle s’affaire dans le coin cuisine. C’est dans cette pièce, qu’avec l’aide de son employée / complice Ismene, elle découpera (dans la nappe qui recouvre la table en formica !) la robe empoisonnée destinée à faire mourir sa rivale Creuse (photo). Mais le drame sur lequel repose pourtant tout l’ouvrage passe ici aux oubliettes, Medea ne commettant pas le double infanticide imaginé par Euripide, et c’est tranquillement, ses deux rejetons à côté d'elle, qu’elle quitte la scène tandis que résonnent les derniers accords…
Dans le rôle-titre, Carmela Remigio rallie tous les suffrages – décidemment à l’aise dans ce type de répertoire après sa magnifique incarnation d’Alceste (de Gluck) à La Fenice de Venise l’an passé. De fait, la soprano italienne possède l’ampleur du médium, un timbre sombre, la sauvagerie dans l’accent, un registre aigu infaillible, mais aussi le sens du declamato qu’exige son personnage. Et l’actrice se montre formidable dans la caractérisation des obsessions qui la rongent et qui la mènent à la folie, avec une palette dans les attitudes et les regards qui ont fortement impressionné le public. Belle découverte que la Creuse de la jeune soprano italienne Marta Torbidoni, d’un lyrisme poignant et dont l’air d’ouverture du II, accompagné à la harpe, restera le plus beau moment musical de la soirée. Quant aux deux ténors du spectacle, le Giasone de l’argentin Juan Francisco Gatell et l'Egeo de l’américain Michele Angelini, ils font jeu égal dans le « match » qui les oppose. On connaît l’excellence du premier dans le répertoire belcantiste (et notamment rossinien) : étendue vocale, virtuosité étincelante, sens du style, sans oublier une véhémence bienvenue dans l’accent. Mais Angelini – qui était déjà présent dans la dernière édition du festival dans Marino Faliero de Donizetti – soutient sans problème la confrontation, avec même une voix plus large et des aigus encore plus puissants. La basse Roberto Lorenzi (Creonte) soulève moins d’enthousiasme que l’Ismene de Caterina Di Tonno, dans la révision de 1821 qui lui offre un air alla Rossini et que l’on aimerait dès lors entendre dans un rôle plus conséquent. Enfin, Marcello Nardis s’acquitte sans accroc de la partie de Tideo.
A la tête de l’Orchestre du Donizetti Festival, le chef italien Jonathan Brandani veille à préserver la cohérence d’ensemble de l’ouvrage, en mettant en exergue ses aspects les plus lyriques et les multiples influences qui l’ont nourri, mozartiennes en particulier. En revanche, le chœur uniquement masculin placé dans les six loges d’avant-scène ne brille pas par son unité, et donc sa justesse. C'est bien le seul bémol d'une superbe résurrection qui a conquis le public très international du Donizetti Festival !
Medea in Corinto de Giovanni Simone Mayr au Teatro Sociale de Bergame (jusqu’au 4 décembre 2021)
Crédit photographique © Gianfranco Rota
03 décembre 2021 | Imprimer
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