Avec cette production des Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach signée par Olivier Desbordes – reprise le week-end dernier à l’Opéra-Théâtre de Clermont-Ferrand après être passée par les opéras de Fribourg et de Massy –, c'est la traditionnelle version Choudens qui a été retenue (au détail près que l’acte de Giuletta précède celui d’Antonia…), à laquelle on aurait cependant préféré celle – plus récente et complète – de Jean-Christophe Keck. A cette version traditionnelle répond une proposition scénique assez traditionnelle également. Le directeur du festival de Saint-Céré, avec l’appui de Benjamin Moreau pour la mise en scène et celui de Patrice Gouron pour les décors, a imaginé une scénographie unique sous la forme d’une immense table-plateau, qui évoque les premières séances de spiritisme chères à Baudelaire : elle unifie l’action, de même que les chanteurs garderont les mêmes costumes à chaque changement de rôle. Le rétablissement des dialogues parlés – opéra comique oblige – libère le jeu théâtral au bénéfice d’une parfaite compréhension de l’action, et il faut saluer ici les comédiens-chanteurs qui passent du parlé au chanté sans heurt. L’acte le plus réussi est celui d’Antonia, qui apparaît à moitié enterrée avec juste le tronc émergeant de la table (version Winnie dans « Oh les beaux jours ! » de Beckett), noyée dans un linceul ensanglanté symbolisant la phtisie qui la ronge.
Une vraie troupe (à deux cas près) fait fonctionner ce spectacle fort et attachant, solistes et chœurs parfaitement intégrés. Le rôle-titre déçoit, un Jean-Noël Briend au timbre nasillard, à la diction la plupart du temps incompréhensible, au jeu sommaire et à la fâcheuse tendance à forcer systématiquement son émission. Il n’en fait que plus briller l’incroyable talent de la soprano turque Serenad Burcu Uyar qui, dans les quatre rôles féminins, subjugue l’auditoire et s'impose comme la triomphatrice de la soirée. Elle parvient à caractériser avec une suprême élégance chacune de ses différentes apparitions, en délivrant avec un incroyable brio l’air d’Olympia « Les oiseaux dans la charmille », tandis que son lyrisme naturel et sa sensibilité à fleur de peau peuvent s’affirmer dans celui d’Antonia « Elle a fui la tourterelle ». Le baryton français Christophe Lacassagne, d’ordinaire nettement plus subtil, ne se distingue pas davantage que son collègue ténor par la nuance, ni par la versatilité de son profil diabolique. D’un bloc, le timbre projette ses couleurs sombres sans beaucoup de musicalité et avec de subites baisses de régime. Grimée en Pierrot plus complice du diable qu’ami de Hoffmann, la Nicklausse de la mezzo française Inès Berlet frise l’idéal avec son timbre chaleureux, d’une belle rondeur dans le médium et le grave, et son aigu percutant. Les quatre valets du jeune Alfred Bironien suscite le même enthousiasme, et ses dons innés de comédien vont de pair avec une parfaite rigueur stylistique. Enfin, les seconds rôles sont parfaitement distribués, mais l’on distinguera l’émouvant Crespel de Nathanaël Tavernier.
Le jeune chef d’orchestre Mehdi Lougraïda – assistant de Matthias Pintscher à l’Ensemble Intercontemporain – n’avait encore jamais dirigé d‘opéra. Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître, et l’Orchestre Opéra Eclaté est conduit avec conviction – et un style offenbachien irréprochable – par le chef franco-marocain, dont le répertoire habituel se situe pourtant plus du côté de Berio et Boulez…
Les Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach à l’Opéra-Théâtre de Clermont-Ferrand, le 6 mai 2018
Crédit photographique © Alain Wicht
09 mai 2018 | Imprimer
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