Huit jours après sa participation au Pasticcio concocté par William Christie pour elle (et son bondissant collègue JJ. Orlinski), la mezzo franco-italienne Lea Desandre était de retour au Festival de Pâques d’Aix-en-Provence, cette fois pour un récital solo entièrement consacré aux ouvrages d’Antonio Vivaldi. L’on retrouve également le luthiste Thomas Dunford, ici à la tête de son Ensemble Jupiter, qu’il dirige depuis son instrument. Fondé il y a seulement trois ans, la jeune phalange baroque composée ici de sept musiciens (deux violons, un alto, un violoncelle, une contrebasse, un clavecin et un luth) joue sur instruments d’époque et forme un groupe à la fois exquis et exigeant. Le son, la couleur, la dextérité, la virtuosité, le sens du style de l’époque sont les marques de l’Ensemble Jupiter, dont le premier violon Théotime Langlois de Swarte donne le La en termes d’agilité, de nerf et de tension permanente. Il se révèle autant dans l’accompagnement des airs chantés par Lea Desandre, que dans les pages purement instrumentales, trois concerti qui serviront de pause pour la chanteuse, et qui mettront en avant le luth délicat et expressif de Dunford (dans les RV 82&93) ou le violoncelle vif et ardent de Bruno Philippe (dans le RV 416).
La soirée débute par un extrait d’Il Giustino, « Vedro con mio diletto », un air lent et plein d’émotion qui permet de goûter le timbre suave de la mezzo, mais aussi la finesse de son phrasé et la longueur de son souffle. Le programme fait ensuite la part belle à l’oratorio Juditha Triumphans que le Prete rosso composa en latin en 1716 pour les pensionnaires féminines de l’Ospedale della Pietà à Venise. S’inspirant du classique biblique, l’œuvre raconte le parcours de l’ombre à la lumière de cette émule de Dalila, Judith, qui libéra la ville de Béthulie de l’envahisseur Holopherne en le décapitant après l’avoir séduit. Le premier air retenu est « Armatae face et anguibus », auquel elle offre toute la véhémence requise par cet aria di furore, et dans lequel elle fait preuve d’une pureté désarmante dans les aigus et d'une souplesse de chaque instant dans la ligne de chant. Le second est le plus doux et calme « Veni, veni me sequere fida », dans lequel la voix ronde et chaleureuse de la chanteuse imite le tendre chant d’une tourterelle pour affirmer son affection envers sa suivante Abra.
Les deux autres airs qui suivent sont des incontournables de tout récital vivaldien, à commencer par le fameux « Gelido in ogni vena » (Il Farnace) dont Cecilia Bartoli a fait l’un de ses chevaux de bataille. Sans posséder (encore) le registre grave de sa consœur italienne, on n’en admire pas moins la force de conviction de l’artiste, et l’émotion sincère qui l’étreint au fur et à mesure de cette longue aria, une émotion qui gagne également sans peine la petite trentaine de personnes autorisées à assister au concert en live (mais aussi, on l’espère, les spectateurs devant leur écran). Vient ensuite le sublime « Cum dederit dilectis suis » extrait du Nisi Dominus, délivré ici avec des sons parfaitement filés et tenus, qui rehaussent l’aspect doloriste de ce morceau. L’air « Gelosia, tu gia rendi l’alma fida » (Ottone in Villa) et plus encore le fameux « Agitata da due venti » tiré de La Griselda refont tourbillonner un vent de folie dans la vaste enceinte du Grand-Théâtre de Provence, et l’on y admire particulièrement la clarté d’articulation dans les vocalises, la façon dont elle négocie les redoutables écarts de registre, ou encore les inflexions infiniment variées.
En bis, la mezzo reprend une composition et une adaptation dues à la main de Thomas Dunford (qui chante avec elle...), « That’s so you » et « We are the ocean, each one a drop », qui permettent de conclure la soirée dans une ambiance jazzy et festive – ces deux mêmes pages ayant refermé le trépidant pasticcio programmé in loco huit jours plus tôt…
Lea Desandre dans un récital Vivaldi au Festival de Pâques d’Aix-en-Provence, le 8 avril 2021
Crédit photographique © Caroline Doutre
10 avril 2021 | Imprimer
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