L'Elisir d'amore à l'Opéra de Marseille

Xl_img_9478_photo_christian_dresse_2014 © Christian Dresse

Heureuse idée qu'a eu Maurice Xiberras d'importer à l'Opéra de Marseille (qu'il dirige) cette production toulousaine de L'Elisir d'amore de Donizetti pour les Fêtes, plutôt que de proposer un sempiternel ouvrage d'Offenbach. Le metteur en scène français Arnaud Bernard – à qui Nicolas Joël avait confié cette proposition scénique en 2001 - transpose l'action vers les années 1900, époque où la photographie devient un art populaire, tandis que le cinématographe connaît ses balbutiants débuts, entre noir et blanc et couleur sépia. Le décorateur William Orlandi (qui signe également les costumes) a imaginé un système de panneaux coulissants qui s'ouvrent ou se resserrent, comme le ferait le diaphragme d'un appareil photographique. Du coup, de nombreuses scènes montrent les personnages figés en pleine action, comme au moment du déclic, et l'on passe parfois au cinéma, avec cette fois des gestes et des mouvements vus au ralenti. A la fin, Dulcamara disparaît dans l'œil géant de l'objectif, qui se referme sur lui. Le rythme de la représentation est constamment soutenu et s'avère toujours respectueux de la musique : tout baigne ici dans un esprit dévoué à la fraîcheur et à la tendresse...

Le vrai bonheur de cette soirée de première se trouve cependant dans la réunion d'un plateau mieux que convaincant, à commencer par la fabuleuse prestation du ténor sicilien Paolo Fanale. Sa récente – et enthousiasmante -  incarnation de Roméo à l'Opéra de Monte-Carlo avait déjà révélé l'équilibre d'une voix porteuse de lumière, d'un beau métier et d'une sensibilité juste. En Nemorino, il confirme une ligne de chant souveraine et un art inouï dans la maîtrise de l'allègement, des nuances et de la demi-teinte. Sa façon de varier à l'infini la couleur dans « Una furtiva lagrima » lui vaut une ovation de plusieurs minutes, ovation qui vient sans doute saluer aussi l'expressivité de l'acteur, qui sait admirablement allier simplicité et chaleur. Il est sans conteste un des espoirs les plus attachants de sa génération.

Grande habituée de la scène phocéenne, la grande soprano albanaise Inva Mula nous régale de son agilité vocale parfaite, de son exemplaire sûreté dans l'émission et de sa musicalité sans faille. Un peu serrés au début, les aigus vont en s'épanouissant au fil de la représentation. Armando Noguera réussit à faire de Belcore bien plus qu'un bellâtre ennuyeux. Dans cette interprétation plein de panache, le sergent devient un authentique rival de Nemorino, le baryton argentin y ajoutant une réelle aisance dans les vocalises, une belle élégance dans le phrasé et un timbre vibrant. Les talents d'acteur, une aisance à brûler les planches et une diction syllabique d'une réjouissante verdeur font de Paolo Bordogna un Dulcamara intensément « présent ». Enfin, la voix fraîche de Jennifer Michel nous vaut une délicieuse Giannetta.

En fosse, l'excellent chef Italien Roberto Rizzi-Brignoli fait montre ce soir encore de son grand talent, avec un geste clair et incisif, une technique sûre et une maîtrise parfaite de sa phalange. A ces atouts, le maestro ajoute un respect scrupuleux des exigences du chant et une rare intelligence dans l'approche musicologique, vécue non pas comme une fidélité absurde à la partition, mais comme une adaptation qui ne trahit jamais les intentions du compositeur. Sa flexibilité dynamique, ses infimes variations, la diversité de sa palette de couleurs désignent Rizzi-Brignoli comme un authentique chef donizettien.

Emmanuel Andrieu

L'Elisir d'amore de Donizetti à l'Opéra Municipal de Marseille – Jusqu'au 4 janvier 2015

Crédit photographique © Christian Dresse

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