L'Enlèvement au sérail à Genève... ou une Bronca historique au Grand-Théâtre

Xl_deads_c_carole_parodi_10 © Carole Parodi

Depuis vingt-cinq ans que nous fréquentons le Grand Théâtre de Genève, jamais nous n’avions assisté à une telle bronca, comme celle suscitée par la première représentation d’une nouvelle production de L’Enlèvement au sérail confiée à Luk Perceval. Les raisons d’un tel rejet ? Le trublion belge a remplacé les textes parlés du singspiel de Mozart par des extraits d’un roman (Le Mandarin merveilleux) de l’opposante politique Alsi Erdogan, écrivaine turque vivant en exil à cause de ses prises de position contre son célèbre homonyme. La soirée (de deux heures sans entracte) se résume ainsi à onze airs entrecoupés par des textes déclamés par quatre acteurs/actrices âgé(e)s qui sont censé(e)s être des doubles des principaux protagonistes (excepté Pedrillo… et Selim Pacha, rôle pivot dans l’opéra original, mais ici purement et simplement supprimé…). Si beaux et touchants soient les nouveaux textes (qui traitent de la solitude, de la mort, de la souffrance, et autres aléas propre à la condition humaine…), on peine à les relier à l’ouvrage de Mozart, dont les composantes joyeuses et légères sont ici entièrement gommées, pour ne garder que le côté sombre de l’oeuvre, au détriment du finale humaniste, souriant et optimiste du livret. Cela posé, nous n'avons pas bien compris la réaction disproportionnée (et carrément haineuse..) d'un public genevois connu pour sa coutumière placidité... Une sorte de protestation véhémente vis-à-vis du travail « radical » du nouveau maître des lieux Aviel Cahn ?...

Dans le rôle de Konstanze, la soprano russe Olga Pudova – éblouissante Reine de la Nuit il y a quelques saisons à Nantes – fait fi de toutes les difficultés de son personnage avec maestria : souffle long, vocalises nettes et aisées, suraigu facile. Reste que la production ne lui permet évidemment pas de dessiner son personnage dans toute sa complexité, la direction d’acteurs de Luk Perceval se concentrant sur les acteurs autrement plus que sur les chanteurs… C’est cependant le jeune et talentueux ténor lyonnais Julien Behr qui domine ce soir les débats, offrant un magnifique Belmonte qui unit, à la perfection, virilité et douceur. La technique est superbe, la ligne remarquablement conduite, et le timbre possède cette couleur sombre, presque barytonale parfois, qui convient idéalement au rôle. Face à eux, le couple de serviteurs ne démérite pas, et le ténor belge Denzil Delaere campe un irréprochable Pedrillo, au timbre superbe, tandis que Claire de Sévigné – déjà remarquée in loco le mois dernier dans Les Indes Galantes – est tout aussi parfaite vocalement. Satisfecit total également pour la superbe basse argentine Nahuel Di Pierro, Osmin à la voix longue et virtuose, aussi puissante dans l’aigu que l’extrême grave.

Enfin, la direction musicale de Fabio Biondi est une surprise. Dirigeant non pas son ensemble baroque Europa Galante, mais les musiciens de l’OSR, le chef italien obtient une grande élégance de la part des bois notamment, et impose une puissante théâtralité dans le rythme d’ensemble, malgré celui « décousu » sur scène…

Emmanuel Andrieu

L’Enlèvement au sérail de W. A. Mozart au Grand-Théâtre de Genève, jusqu’au 2 février 2020

Crédit photographique © Carole Parodi

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