Nous n’étions pas revenus au Teatro Massimo de Palerrme – notre théâtre lyrique préféré pour son architecture – depuis une étonnante Cenerentola en 2016, deux ans après une Norma consternante (scéniquement parlant). Sans posséder l’inventivité du premier spectacle, mais heureusement loin des diktats du Regietheater du second, la nouvelle production de Rigoletto signée par le célèbre acteur italo-américain John Turturro a ravi tant votre serviteur qu’un public palermitain venu en masse voir le spectacle… mais surtout applaudir l’inusable Leo Nucci dans le rôle-titre !
Dans une forme éblouissante, le vétéran italien (76 ans !) se révèle (une nouvelle fois) être un magistral Rigoletto, après avoir incarné le rôle du bouffon plus de 500 fois sur scène aux quatre coins de la planète. On ne sait qu’admirer le plus de l’étonnante santé vocale (palme qu’il ne partage guère qu’avec l’également infatigable Placido Domingo) ou des prodigieux talents d’acteur qui, tour à tour, glacent les sangs ou suscitent une intense émotion parmi l'audience. Le mordant et la puissance de la voix n’ont que peu subi l’outrage du temps, le timbre n'a pas bougé, et Nucci ne semble jamais gagné par la fatigue, ce qui lui permet de bisser le célèbre air « Si, vendetta ! ». Le public n’a pas manqué de lui réserver une interminable ovation au moment des saluts.
La jeune soprano espagnole Ruth Iniesta – Lauréate du Prix Montserrat Caballé en 2014 – dresse de Gilda un portrait tout en finesse : le phrasé délicat de « Caro nome », où les notes aigües semblent voltiger comme des plumes légères, signale la nature encore virginale sa partie ; la voix se corse ensuite pour s’épanouir dans une grande scène finale, où ses pianissimi étéhérés font courir le frisson. De son côté, dans le rôle du Duc de Mantoue, le ténor péruvien Ivan Ayon Rivas déçoit. Certes, il possède d’incontestables moyens, un timbre large, de la vaillance, un aigu facile et puissant, mais l’émission manque de naturel, et on cherche en vain la séduction, la fantaisie légère, le charme et le soleil du personnage, Sa tendance à forcer systématiquement sa voix risque à la longue de la compromettre… et, en attendant, lasse (et même irrite) nos oreilles… Les seconds rôles n’appellent aucun reproche : le Sparafucile sombre et inquiétant de Luca Tittoto, la Maddalena aguicheuse en diable de Martina Belli ou encore le Monterone sonore de Sergio Bologna méritent des lauriers, et l'on doit louer tout autant la cohésion du Chœur du Teatro Massimo.
Pour sa première mise en scène lyrique, John Turturro se tient ici à l’écart des reconstitutions pseudo-historiques de l’opéra de grand-papa comme des relectures « branchées », s’appuyant sur la sobre (mais très belle) scénographie de Francesco Frigeri : la salle défraîchie d’un palais dont certaines glaces sont tombées au sol, et deux autres structures pour figurer la demeure de Rigoletto et le bouge de Sparafucile. Une mention pour le jeu de lumières d’Alessandro Carletti, particulièrement efficace, notamment dans la scène de l’orage au III, et les non moins magnifiques costumes (très XVIIe siècle) de Marco Piemontese. Décors sobres, mise en scène sobre : Turturro s’attache avant tout à la clarté des situations, à la progression et à l’impact dramatique des différents tableaux et à la crédibilité des personnages.
Enfin, le chef italien Stefano Ranzani offre une lecture soignée du chef d’œuvre de Giuseppe Verdi, attentive aux détails (l’introduction de la cabalette du ténor), en utilisant avec doigté l’art subtil du rubato, à la tête d’un Orchestre du Teatro Massimo splendide de bout en bout. Plongé – à l’instar du spectacle – dans une atmosphère nocturne, mais incisif dans l’accent, son Rigoletto est parcouru d’une sorte de vibration interne, à la fois souple et nerveuse.
Rigoletto de Giuseppe Verdi au Teatro Massimo de Palerme (octobre 2018)
Crédit photographique © Roselina Garbo
Commentaires