Plus d'un spectateur avait le sourire aux lèvres à la sortie de la première de ces Fiançailles au couvent au Théâtre du Capitole. C'est qu'au plaisir de la comédie s'ajoutait ce bonheur particulier que procure la découverte d'une merveille - et cet opéra en est une. Le livret est adapté de La Duègne, une comédie du dramaturge anglais Sheridan datant de 1775. A Séville, un veuf autoritaire veut donner sa fille en mariage à un riche marchand de poisson d'un certain âge. Tous deux finissent, comme il se doit, bernés par la jeunesse, avec l'aide de la nourrice qui convolerait bien avec...le magot du barbon-soupirant ! Cette intrigue, propice aux mascarades, fuites, faux enlèvements et quiproquos offre à Sergueï Prokovief la matière d'une éblouissante invention musicale. Mêlant, avec beaucoup de liberté, des formes classiques à un langage très personnel, cette écriture, où les voix comme l'orchestre sont royalement traités, fait parfois penser au regard musical d'un Richard Strauss sur le XVIIIe siècle. Entre des scènes franchement bouffones (les moines paillards à l'acte IV !), d'autres d'un humour plus subtil (l'étonnante chanson de séduction de la duègne au II), et des moments d'authentique lyrisme (duo du I, quatuor du III), la variété des tons est remarquable, et la réussite de l'œuvre doit beaucoup à cet équilibre.
La proposition scénique – imaginée par le britannique Martin Duncan en 2011 pour ce même théâtre - reflète l'univers caustique et farfelu du livret. L'action est transposée de l'Espagne vers la Russie avant-gardiste des années 20, et l'esthétique retenue est celle du constructivisme qui nous offre ainsi à voir une scénographie composée de fausses portes et d'échelles empilées, de projecteurs apparents et de machinistes progressant à vue sur un plateau ouvert. Saluons aussi une direction d'acteurs au cordeau, ainsi que les costumes surréalistes d'Alison Chitty et les lumières kaléidoscopiques de Paul Pyant qui participent pleinement à la réussite visuelle du spectacle.
Au sein d'une distribution solide et homogène, se détache cependant la Louisa légère et brillante d'Anastasia Kalagina, le Mendoza au jeu délibérément outré de Mikhaïl Kolelishvili et le Don Jérôme plein d'esprit et d'abattage de John Graham Hall (que nous retrouvons avec grand plaisir après son superbe Peter Grimes niçois en début d'année). De leur côté, Anna Kiknadze est une Clara au chant sûr et intense, Elena Sommer une Duègne haute en couleurs, Garry Magee un Ferdinand crédible en amoureux romantique et Daniil Shtoda un Antonio tout aussi roucoulant. Il nous faudra encore citer, car tous sont formidables dans leurs rôles de composition respectifs, Vladimir Kapshuk (Don Carlos), Alexander Teliga (Père Augustin), Vasily Efimov (Frère Elustaphe et Premier masque), Marek Kalbus (Frère Chartreuse et Second masque), Thomas Dear (Frère Bénédictine et Troisième masque) et enfin la charmante Chloé Chaume dans le rôle de Lauretta.
Pour diriger l'ouvrage, Frédéric Chambert ne pouvait trouver mieux que le directeur musical de son propre théâtre, l'excellent Tugan Sokhiev. A la tête d'un Orchestre National du Capitole impeccable, le jeune chef ossète se montre aussi convaincant en termes de flexibilité du phrasé que d'effervescence du rythme dramatique. On soulignera plus particulièrement l'imagination avec laquelle il varie l'accent et la couleur de chacun des leitmotiv.
Un spectacle de grande qualité, qui achève de convaincre une salle comble et enthousiaste !
Les Fiançailles au couvent de Sergueï Prokovief au Théâtre du Capitole, jusqu'au 24 mai 2015
Crédit photographique © Parice Nin
18 mai 2015 | Imprimer
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