Les Oiseaux de Walter Braunfels en création française à l'Opéra national du Rhin (envers et contre tout) !

Xl_les_oiseaux___l_op_ra_national_du_rhin © Klara Beck

On a eu des sueurs froides à l’Opéra national du Rhin : la première de cette création française des Oiseaux (Die Vogel) de Walter Braunfels a bien failli ne pas avoir lieu, faute au Covid. Cinq des vents ont été contaminés la veille de la représentation et le matin même, le virus a également eu raison du chef ouzbèque Aziz Shokhakimov, le nouveau directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg. Par Bonheur, les instrumentistes ont pu être remplacés par d’autres, même s’ils ont dû quasiment déchiffrer la partition à vue, et Sora Elisabeth Lee, l’assistante du chef qui avait assuré certaines répétitions et dirigera une représentation à Mulhouse, a pu se rendre dans la fosse pour diriger au pied levé !

Et après l’exhumation strasbourgeoise « de ce chef d’œuvre absolu » (pour reprendre les mots d’Alain Perroux, le directeur général de l’OnR, en préambule au spectacle), on ne peut que s’étonner qu’une partition postromantique aussi ambitieuse et d’un éclat orchestral aussi somptueux ait pu tomber dans l’oubli – hors quelques rares exécutions de l’autre côté du Rhin, depuis sa redécouverte en 1971 à Karlsruhe. Après le succès de la première représentation en 1920 à Munich avec une distribution des plus prestigieuses, sous la direction du grand Bruno Walter, interdiction fut faite en 1933 au compositeur (d’origine juive mais converti tôt au protestantisme) d’exercer sa profession – ce qui signifiait également la condamnation de son « spectacle fantastico-lyrique » (lyrisch-phantastisches Spiel), tiré d’une pièce du dramaturge grec Aristophane. Né à Francfort en 1882, longtemps directeur de l’Ecole supérieure de musique de Cologne où il mourut en 1854, Walter Braunfels ne s’est jamais remis de ce coup, sur le plan artistique du moins. S’inscrivant dans la tradition postromantique, évoquant fréquemment Richard Strauss, Wagner ou le Beethoven de le 6ème Symphonie mais aussi parfois le Stravinsky néo-classique, la musique des Oiseaux, dont l’atonalité est totalement absente, favorise le beau chant et a de quoi séduire un large public.


Les Oiseaux de Braunfels à l'OnR © Klara Beck

En cette mémorable soirée du 19 janvier, devant un parterre de personnalités dont la nouvelle présidente du Conseil européen, la jeune cheffe coréenne enthousiasme à la tête d’un OPS dans une forme olympique. Le Chœur de l’OnR, remarquablement préparé par Alessandro Zuppardo, se montre tout autant au mieux de sa forme pour affronter une partie d’une virtuosité éprouvante. Ensemble, ils font de cette découverte des Oiseaux un événement passionnant.

Lyrico-colorature par tempérament, la soprano québécoise Marie-Eve Munger nous offre un Rossignol dont les trilles pénètrent sans difficulté les contrées stratosphériques de l’enchantement. L’autorité sans faille de Christoph Pohl (La huppe) lui permet de tenir son rôle de porte-parole des Oiseaux. Le couple d’Athéniens que forment Cody Quattlebaum (Fidèlami), combinaison excellente d’un Wotan politicien et du perfide Alberich, et Tuomas Katajala (Bonespoir) que Strauss n’aurait pas traité de façon plus impitoyable, s’affirme aisément dans leur rôle d’intrus au royaume des Oiseaux. Tandis que le premier incite à la construction de la cité des oiseaux qui devrait leur assurer la suprématie sur l’univers, le second se voit gratifié de certains des plus beaux passages de la partition foisonnante de Braunfels, tels que le chant final ou le grand duo d’amour avec le Rossignol. La basse autrichienne Josef Wagner confère tout le hiératisme requis par son personnage de Prométhée, et par le grand monologue qui lui incombe, où il avertit les oiseaux de ce que la colère des Dieux les menace. Mentionnons encore le Roitelet de la soprano Julie Goussot, au joli chant délié, ainsi que le Zeus tonitruant de la basse coréenne Young-Min Suk (issu du Chœur de l’OnR).

Malgré le stress aussi normal que perceptible, la baguette attentive et précise de Sora Elisabeth Lee séduit fortement grâce aux éminentes qualités orchestrales de cette extraordinaire partition : impressionnisme enflammé, lyrisme généreux, richesse de timbres opulente, séduction instrumentale indéniable… on ne saurait dénombrer tous les prodiges qu’offre cette musique, ici parfaitement restitués par l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg. 


Les Oiseaux de Braunfels à l'OnR © Klara Beck

Quant à la mise en scène de Ted Huffman, elle joue sur l'effacement des frontières entre le monde des hommes et celui des oiseaux, pourtant au centre de l'intrigue dans le livret. Il y substitue habilement l'idée (déjà présente chez Aristophane) que les oiseaux et les hommes appartiennent au même monde animal et sont mus les uns comme les autres par les principes éternels de la quête du pouvoir, de la tromperie et de la soumission. De fait, Bonespoir et Fidèlami ne viennent pas à la rencontre des oiseaux mais font partie dès le lever de rideau d'un seul et même univers – en l'occurrence, le monde du travail dans un espace tristement bureaucratique, avec des volatiles à l'allure très humaine. Dans une perspective les décrivant davantage comme des représentants syndicaux, ils prennent la tête de la révolte qui bouscule les meubles en tentant d'imposer des revendications à des dieux qu'on imagine placés plus hauts dans les étages de l'immeuble. Zeus descend à leur rencontre et brise net toute discussion, instaurant un retour à l'ordre ancien et l'éviction des deux audacieux. Au-delà d’un principe qui éclaire l’œuvre sous un jour nouveau, on peut cependant regretter que la vision et l’idéologie prennent ici le pas sur l’esthétique et la fantaisie lyrique voulue par Braunfels.

Peu importe ce petit bémol, ce spectacle était l'une des productions lyriques parmi les plus attendues en France cette saison, et le pari de l’OnR a été remporté haut la main. Il reste encore quatre dates à Strasbourg et deux autres à Mulhouse, on ne saurait trop conseiller aux lyricomanes de s’y précipiter !

Emmanuel Andrieu

Les Oiseaux (Die Vogel) de Walter Braunfels à l’Opéra national du Rhin, jusqu’au 22 février 2022

NB : L’opéra sera capté par ARTE et France Musique et diffusé à partir du 10 février 2022 à 19h sur ARTE Concert et le 19 février à 20h sur France Musique. Il sera disponible à la réécoute pendant 1 an.

Crédit photographique © Klara Beck

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