Tandis que la grande majorité des maisons d’opéra hexagonales a jeté l’éponge (et leur saison lyrique avec l’eau du bain), l’Opéra de Marseille et Maurice Xiberras continuent de se battre contre vents et marées pour que les artistes puissent se produire. Ainsi, toutes les productions prévues pour la saison 20/21 ont pour l’instant été sauvées, en vue de captations vidéo, à l’instar de la Bohème en décembre, Tosca en février et Luisa Miller en mars. Et c’est cette fois pour un enregistrement audio que deux représentations des Pêcheurs de perles sont maintenues, ces 11 et 14 avril, en version de concert. À rebours d’une tradition qui remonte aux années 70, l’Opéra de Marseille a choisi d’utiliser la version de 1893 (révisée par Godard) plutôt que la version originale de Georges Bizet qui diffère surtout par le finale et la seconde partie du duo Zurga/Nadir au premier acte.
Le quatuor vocal de cette production marseillaise est de premier choix. Julien Dran confirme sa suprématie actuelle sur le rôle de Nadir, abordé depuis 2014 à Massy, et confirmé sur trois scènes hexagonales en 2018 dans la production de Bernard Pisani. Il conjugue les qualités des ténors légers avec celles d’un foyer vocal plus large et coloré, qui rend crédible le personnage (Nadir est un « coureur des bois », chasseur de loups et de tigres, pas un être éthéré). Le timbre est doré, la projection remarquable, et le style parfait, fait de legato et de longueur de souffle, et d’une diction impeccable. C’est en apesanteur que nous suivons la célèbre romance « Je crois entendre encore », à la mezza voce ensorcelante. Le même effet se reproduit dans la chanson « De mon amie fleur endormie », avant que l’or du timbre du ténor bordelais s’allie intimement avec l’argent de celui de la soprano toscane dans le duo « Ton cœur n’a pas compris le mien ».
Miracle de fraîcheur et de jeunesse, Patrizia Ciofi livre une prestation de bout en bout enthousiasmante, avec un timbre reconnaissable entre tous, qui n’a rien perdu de sa lumière (et de son léger voile) des débuts. On admire également son émission d’une sûreté absolue et, plus encore, une intelligence musicale et stylistique hors-pair, qui lui permettent de figurer parmi les meilleures Leïla que nous ayons entendues. De son côté, Jérôme Boutillier reprend le rôle dans lequel il a débuté à Toulon en 2019, et il rejoint Julien Dran dans la droite ligne du récital « Frères » de Vichy (nous avons chroniqué le spectacle dans ces colonnes), où tous deux jouaient des oppositions entre frère et faux-frère. Ici, il campe un Zurga brutal et toutes griffes dehors, la fièvre de l’acte III le dévorant dès l’acte I, avec une diction mordante et un timbre aussi sombre que lumineux, jusqu’à des aigus dardés. Il atteint l’acmé de cette conception dans sa longue scène du dernier acte « L’orage s’est calmé », à peine tempérée par quelques remords (« Ah, qu’ai-je fait ? ») puis dans le duo suivant avec Leïla où sa fureur contrôlée est étourdissante. Enfin, la basse belge Patrick Bolleire prête son timbre riche en harmoniques, ainsi qu’une impressionnante résonance dans le haut médium, à un Nourabad particulièrement présent.
Placé sur la scène, tandis que le chœur (excellent !) est relégué au premier balcon, l’Orchestre Philharmonique de Marseille sonne magnifiquement. Sous la battue du chef français Gaspard Brecourt, la phalange provençale séduit par la pureté du contour et la justesse des teintes, de même que par la fougue dont elle est capable dans les moments les plus dramatiques. Le meilleur des deux soirées sera retenu pour une diffusion ultérieure (à défaut de date communiquée pour l’instant...) sur les réseaux sociaux de l’Opéra de Marseille.
Les Pêcheurs de perles de Georges Bizet à l’Opéra de Marseille, les 11 et 14 avril 2021
Crédit photographique © Emmanuel Andrieu
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