L'Opéra de Monte-Carlo clôt sa saison avec les rares Masnadieri de Verdi

Xl_masnadieri © Alain Hanel

Parmi les opéras peu joués de Giuseppe Verdi - après Stiffelio en 2014Ernani en 2015 ou Attila en 2016 -, l’Opéra de Monte-Carlo a choisi I Masnadieri (Les Brigands), un ouvrage particulièrement difficile à monter, en raison de son absence de dramaturgie. Beaucoup de livrets mis en musique par le Chantre de Busseto font se dresser les cheveux sur la tête (quand on prend la peine de les lire…), mais la plupart, sublimés par une musique qui suit l’action pas à pas, paraissent, à l’écoute, de véritables chefs d’œuvre. Dans I Masnadieri, en revanche, Verdi ne semble pas avoir trouvé la possibilité de s’exprimer avec son bonheur habituel, sur un texte pourtant tiré de Friedrich von Schiller, l’un de ses auteurs préférés, mais ici défigurés par les simplifications et les ellipses du livret d’Andrea Maffei. A l’issue de la soirée, la tentative de porter l’œuvre à la scène apparaît quand même comme globalement concluante, mais surtout du fait du bel engagement des solistes, du chœur et de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, menés tambour-battant par Daniele Callegari. Le chef italien réussit l’exploit d’opérer une synthèse entre une flexibilité rythmique proprement « donizettienne » et un élan violemment dramatique pour les passages plus « verdiens ».

Signataire d’un très beau (et très classique) Nabucco ici-même en 2016, le metteur en scène italien Leo Muscato récidive dans le classicisme de bon aloi, avec l’heureuse idée de concevoir des décors (signés par Federica Parolini) qui permettent de passer d’un tableau à l’autre sans cassure, conférant ainsi un vrai rythme à la soirée. La scénographie confère surtout une atmosphère tourmentée et cauchemardesque, comme avec le cimetière à l’acte II (photo), qui reflète avant tout le désordre mental des personnages. D’entrée, Carlo nous apparaît comme un ivrogne débauché, Francesco comme un être sournois, malfaisant et d’une noirceur absolue, tandis que leur père Massimiliano est montré comme un vieillard sénile immobilisé dans son lit. Au demeurant, le fait de réduire les personnages à de tels clichés ne contribue guère à donner de l’épaisseur à des profils psychologiques déjà sommaires…

La partition de Verdi se révèle particulièrement ardue à chanter, surtout pour le ténor et la soprano. Grand habitué des lieux (on l’a entendu dans le Ernani précité, mais aussi dans Simon Boccanegra la saison passée), le ténor mexicain Ramon Vargas n’est pas au meilleur de sa forme en cette soirée de dernière : il apparaît fatigué dès le début de la représentation, et maintient l’auditeur dans une relative sensation d’insécurité, les aigus du rôle, souvent exposés, n’étant pas toujours « sous contrôle », émis parfois de façon musicale, parfois à l’arraché… En Amalia, la jeune soprano italienne Roberta Mantegna, Lauréate en 2016 du prestigieux Concours International de Belcanto Vincenzo Bellini, convainc dans ce rôle écrit pour (et immortalisé par) Jenny Lind, le « rossignol suédois ». Sa technique vocale lui permet d’affronter les exigences du cantabile extatique et du sfumato, grâce à la pratique du répertoire de Bellini et de Donizetti. Par ailleurs, l’actrice se montre touchante, et récolte ainsi un beau triomphe personnel au moment des saluts.

Autre habitué de la maison monégasque (comme dans Guillaume Tell en 2015 et dans Il Trovatore en 2017), le baryton italien Nicola Alaimo s’avère le triomphateur incontesté de la soirée. Scéniquement, il compose un terrifiant « méchant » de théâtre, et vocalement, avec sa voix trempée dans le bronze, il délivre un saisissant récit du cauchemar - qui vire ici à la scène de folie digne des tortures mentales de Lady Macbeth... -, avant de se poignarder dans un accès de rage auto-destructrice. De son côté, la basse russe Alexey Tikhomirov – particulièrement appréciée l’an passé dans Boris Godounov à Marseille puis dans La Pucelle d’Orléans (Tchaïkovski) à Genève -  dessine un Massimiliano noble et pathétique, grâce aussi à une superbe présence scénique. Enfin, les comprimari se montrent d’un très bon niveau, notamment le Rolla de Christophe Berry.

Avec ce spectacle s'achevait la saison monégasque, dont l'édition 18/19 s'annonce particulièrement fastueuse !

Emmanuel Andrieu

I Masnadieri de Giuseppe Verdi à l’Opéra de Monte-Carlo, le 24 avril 2018

Crédit photographique © Alain Hanel

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