L'Opéra des Nations de Genève ressuscite Le Vampyre de Marschner

Xl_der_vampyr © Magali Dougados

Der Vampyr de Heinrich Marschner – auquel le Grand-Théâtre de Genève a eu la bonne idée de redonner sa chance (avec un bémol, nous y reviendrons) - est une œuvre-clé de l’opéra romantique allemand, et l’on ne s’étonne pas que le héros byronien imaginé par John William Polidori, ici-même sur les bords du Lac Léman, ait pu faire fureur à une époque plus que réceptive aux histoires d’occultisme. Le rôle-titre, alias Lord Ruthven, n’entraîne pas moins que trois fiancées dans l’autre monde - Malwina, Janthe (rôle ici supprimé) et Emmy – pour obtenir de Satan la prolongation de son séjour sur la terre. Comme c’est la norme chez les vampires, il ne manque pas de semer sur son passage cadavres et amants terrorisés. C’est finalement le lever du jour qui viendra à bout de l’animal (Nosferatu de Murnau n’est pas loin…), mais il s’avère que Sir Aubry, l’amant de Malwina, a été « infecté », et dans la ligne de ce que nous connaissons depuis Le Bal des vampires de Polanski (autre référence cinématographique de la mise en scène), le jeune homme se met à poursuivre l’œuvre vampirique de Ruthven… avant que sa chère et tendre ne lui enfonce de multiples fois un pieu dans le cœur !

La musique de Der Vampyr – opéra créé en 1828 à Leipzig – assure à l’ouvrage une immortalité refusée au héros de l’histoire.  A bien des égards, tout se tient mieux ici que dans le Hans Heiling (1833) du même Marschner (que l’Opéra national du Rhin avait monté il y a une dizaine d’années) : la poésie forestière démoniaque alla Weber, ou l’humour honnête alla Lortzing. Le monologue de Lord Ruthven et la ballade d’Emmy sont marqués au coin de l’originalité. Cette ballade donne d’ailleurs à penser que Le Vaisseau fantôme, de quinze ans postérieur, pourrait ne pas être dénué de tout plagiat… Tout contribue à l’effet d’inquiétante étrangeté et au frison lugubre, baignés de romantisme : l’instrumentation, les passages en strette à l’italienne, le premier finale d’une puissance inhabituelle.

Après avoir « saucissonné » Guillaume Tell au festival d’opéra de Munich il y a deux étés, le jeune metteur en scène lusitano-chilien Antu Romero Nunes récidive à Genève avec l’ouvrage de Marschner, en l’amputant de la moitié de son livret et de sa musique. Il lui substitue, en revanche, des musiques additionnelles imaginées par le compositeur allemand Johannes Hofmann afin de relier entre elles les parties conservées. Mais ne soyons pas trop bégueules, et avouons qu’à part cette « entorse », son travail est diablement efficace. De fait, toute la panoplie du parfait film d’épouvante est ici conviée, et ce sont ainsi des litres d’hémoglobine qui se déversent sur la scène de l’Opéra des Nations pendant toute la durée du spectacle… sans parler des nombreux corps humains démembrés que les chœurs – ici transformés en morts-vivants – se disputent à tout moment pour s’en délecter.

Au niveau musical, le grand mérite du chef américain Ira Levin - à la tête d’un Orchestre de la Suisse Romande et d’un Chœur du Grand-Théâtre de Genève superlatifs - est de préserver la tension dramatique de l’ouvrage, avec un engagement et une ferveur communicatifs. Par chance, les solistes sont tous à la hauteur de leur tâche, à commencer par le baryton-basse islandais Tomas Tomasson qui incarne un flamboyant Lord Ruthven, tant vocalement que scéniquement. Le ténor étasunien Chad Shelton se montre particulièrement valeureux en Sir Edgar Aubry, avec des aigus sûrs et admirablement projetés, tandis que les honneurs de la compagnie féminine reviennent à la mezzosoprano néerlandaise Maria Fiselier, dans le rôle d’Emmy Perth, pour son « chien », son style et son registre grave nourri. Sa consœur américaine Laura Claycomb n’en est pas moins impeccable, sur le double plan vocal et expressif, en Malwina (la partie la plus italianisante de tout l’opéra), tandis que la basse hambourgeoise Jens Larsen (le père de cette dernière) campe un Sir Humphrey Davenaut particulièrement efficace. Enfin, le ténor croate Ivan Tursic apporte un chant élégant à l’épisodique rôle de George Dibdin.

Au sortir de l’Opéra des Nations, nous avions une question en tête : à quand une version intégrale du chef d’œuvre de Marschner dans un opéra hexagonal !?...

Emmanuel Andrieu

Der Vampyr de Heinrich Marschner à l’Opéra des Nations de Genève, jusqu’au 29 novembre 2016

Crédit photographique © Magali Dougados

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