Louis Désiré signe une Luisa Miller crépusculaire à l'Opéra de Marseille

Xl_luisa_miller___l_op_ra_de_marseille © Christian Dresse

Après Bohème en décembre dernier, et Tosca il y a un mois, cette Luisa Miller mise à l’affiche de l’Opéra de Marseille a été confiée à l’homme de théâtre marseillais Louis Désiré. Comme dans ses deux précédentes productions, et comme il nous l’expliquait dans l’interview qu’il nous a accordés, le noir, l’obscurité et la nuit y sont les cartes maîtresses de son travail, aboutissant à une Luisa Miller que l’on qualifiera de crépusculaire. Car l’ouvrage de Giuseppe Verdi est l’un des plus sombres du compositeur, qui se termine par une véritable hécatombe (ici Louis Désiré fait trucider Wurm par Walter, et non Rodolfo, comme le veut le livret…). Compagnon de Louis Désiré à la ville comme sur les planches, Diego Mendez Casariego signe une scénographie noire et oppressante composée de longues parois lépreuses qui délimitent et restreignent l’espace mental et physique des protagonistes. Les lumières rasantes de Patrick Méeüs qui viennent les heurter sont comme un hommage aux œuvres de Pierre Soulages. Pas de Tyrol folklorique ici, mais l’univers maffieux de l’Italie post-fasciste. Le chœur étant disposé au premier balcon (pour respecter les fameuses distances), Louis Désiré a eu l’idée de placer sur scène un chœur muet, mais néanmoins omniprésent, qui épie les dires et gestes des deux héros, voués à un sort fatal.

Plébiscitée de nombreuses fois sur cette même scène, comme pour sa Traviata en 2014 ou sa Lucia en 2016, la soprano tchèque Zuzana Markova incarne la plus fragile, la plus humaine et la plus poignante des Luisa Miller. Au dernier acte, elle ferait même pleurer les pierres, en trouvant des phrasés, des nuances et des demi-teintes d’une rare éloquence. Au-delà de la cantatrice, c’est une véritable artiste (et une fort jolie femme) qui s’exprime, allant droit au cœur de son personnage, et charmant les quelques spectateurs autorisés à assister au spectacle. Le ténor italien Stefano Secco se hisse à son niveau, et la chaleur de son timbre fait florès dans son grand air « Quando le sere aplacido », qu’il délivre pianissimo, pour plus d’émotion encore. Mais il n’est pas en reste non plus quant à l’intensité dramatique, la puissance des aigus ou encore l’élégance de la ligne.

Le baryton albanais Gezim Myshketa appelle les mêmes éloges : il évolue dans une écriture idéalement adaptée à ses moyens, et s’impose comme l’un des meilleurs barytons verdiens de notre époque. Quel sens de la ligne, quelle intelligence dans les inflexions, quel moelleux dans le timbre, et quel legato de violoncelle ! Dommage que l’aigu ne se déploie pas toujours avec la même aisance... Dans le registre plus grave, Nicolas Courjal joue les pères indignes avec la virulence qu’on lui connaît dans les rôles de « méchants », tandis que Marc Barrard donne une assurance sournoise au vilain Wurm. Et Sophie Koch est bien évidemment un luxe dans le personnage de Federica, tandis que la voix de Laurence Janot (Laura) s’avère riche de promesses.

Malgré ses dix-neuf instrumentistes seulement en fosse, l’excellent chef italien Paolo Arrivabeni accomplit des prodiges pour mettre en valeur l’art de l’instrumentation de Verdi. Il donne par exemple une couleur et un poids dramatique à la scène impitoyable de la dictée de la lettre, avec son sublime solo de clarinette, ou au long finale où les deux amants expirent sur un frémissant tapis orchestral évoquant déjà, par la parcimonie éloquente de ses diverses voix, les tous grands moments des chefs d’œuvres de la maturité.

Enfin à titre informatif, capté les 26, 28 & 30 mars, le spectacle devrait être diffusé « sur les réseaux de France Télévisions » à la fin du mois de mai 2021 !

Emmanuel Andrieu

Luisa Miller de Giuseppe Verdi à l’Opéra de Marseille, les 26, 28 & 30 mars dans le cadre d’une captation pour France Télévisions. 

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