Créée ici même, à l'Opéra de Marseille, en 2007 (en coproduction avec l'Opéra de Lausanne), cette Lucia di Lammermoor - signée par le talentueux metteur en scène français Frédéric Bélier-Garcia -, est un modèle de simplicité et d'élégance. A l'intérieur d'un demi cercle formé par des panneaux enserrant l'espace, les divers lieux de l'action sont suggérés par quelques rares éléments de décors, mais surtout par d'habiles et troublants éclairages (signés Roberto Venturi), ainsi que des projections d'images romantiques (comme par exemple de mystérieuses et menaçantes frondaisons au I), qui font penser à certains dessins de Victor Hugo. La direction d'acteurs, également précise, suggère une ambiguïté psychologique des personnages allant au delà des stéréotypes classiques, et ce n'est pas là le moindre mérite de cette régie très réussie.
La soprano Eglise Gutiérrez ayant déclarait forfait dans le rôle de Lucia, c'est la soprano tchèque Zuzana Markova – prévue initialement en seconde distribution - qui l'a remplacée, mais nous avons, en ce qui nous concerne, entendu Burcu Uyar, venue assurer les deux soirées d'abord dévolues à Mme Markova. Déjà (fortement) appréciée in loco dans les rôles de Donna Anna (en 2011), puis de La Reine de la nuit (en 2012), la soprano turque fascine, techniquement parlant, par l'insolence de la voix (plus sombre et charnue que chez la plupart de ses consœurs), et par la facilité virtuose avec laquelle l'artiste délivre le fameux « air de la folie ». Malheureusement, le jeu scénique de la chanteuse ne se situe pas au même niveau, et ne convient absolument pas au théâtre serio de Donizetti : ses poses appuyées retirent toute dimension tragique, tout mystère, et toute palpitation à la plus romantique des héroïnes. C'est bien dommage...
Le ténor polonais Arnold Rutkowski (Edgardo) pose un cas de conscience. Nous l'avions remarqué lors d'une Bohème donnée à l'Opéra de Toulon, il y a deux saisons, et nous avions admiré, chez ce jeune chanteur, un timbre hautement séduisant, une ligne de chant particulièrement raffinée, et des aigus percutants. S'il en a à nouveau gratifié l'auditoire dans le premier acte, le second l'a vu accuser une certaine baisse de régime, avant de littéralement s'effondrer pendant son grand air du III, «Tombe degl'avi miei » : ligne de chant malmenée, justesse prise en défaut, aigus étranglés, que lui est-il donc arrivé...?
De son côté, le baryton albanais Gezim Myshketa impressionne dans la rôle d'Enrico, grâce à une vibration dramatique et un éclat vocal exceptionnels, tandis que la basse française Nicolas Testé campe un Raimondo vocalement crédible, car il possède l'ampleur, le grain et la noblesse exigés par ce personnage.
Quant à Stanislas de Barbeyrac, tout auréolé par une Victoire de la Musique décrochée l'avant-veille dans la cité voisine d'Aix-en-Provence (celle de la révélation lyrique de l'année), il donne à Arturo une dimension tout à fait inhabituelle à ce protagoniste généralement sacrifié. Avec autant d'ardeur que de juvénilité, le ténor bordelais régale nos oreilles avec son timbre chaud et lyrique, et une ligne de chant d'un raffinement et d'une élégance suprêmes. Assurément un des grands espoirs du chant français !
Enfin, Marc Larcher (Normanno) et Lucie Roche (Lisa) méritent également d'être cités, avec une attention toute spéciale pour cette dernière, qui distille un superbe mezzo cuivré et offre une touchante présence en scène.
Musicalement, le niveau général de la soirée est plutôt positif, grâce à un grand habitué de la fosse phocéenne, Alain Guingal - victime d'un accident cardiaque quelques jours plus tôt, mais visiblement bien rétabli -, qui obtient de l'Orchestre et des Choeurs de l'Opéra de Marseille une discipline – et surtout une frénésie – tout à fait remarquables.
Lucia di Lammermoor à l'Opéra de Marseille
Crédit photographique © Christian Dresse
11 février 2014 | Imprimer
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